Le Ratier et les Chats John Gay (1685 - 1732)

Les Rats faisaient tant de dégâts la nuit,
Mangeant fromage et lard, et tout ce qui s'en suit,
Que Betty le matin était toujours grondée ;
Elle au Chat donnait sa bordée,
L'accusant à bon droit d'oublier son devoir.

Un Homme d'un profond savoir
En l'art d'anéantir les rats et leur vermine,
Entreprit un beau jour d'en purger la cuisine.
Le voilà parcourant, examinant les lieux,
Epiant leurs travaux, avisant leur repaire,
Et préparant gaiement leur acte mortuaire.

Une Chatte suivait ses pas silencieux,
Et pour venger l'honneur des Chats, Minette
Secrètement ôte en cachette.
Les amorces de l'homme, et met tout à néant.

Celui-ci reste tout béant,
Quand il voit le matin ses amorces perdues,
Toutes ont été détendues :
Il les tend de nouveau-Son travail de nouveau
Le lendemain il se trouve à veau-l'eau.
Un ennemi secret, se dit-il, en colère
Détruit ce que je fais-Je plains le pauvre hère,
Il périra sous mon pouvoir,
Et ce, pas plus tard que ce soir.

Il érige soudain une énorme bascule,
Minette est prise, et gesticule.

"Ah! je te tiens, maudit contrebandier, "
Dit l'homme, " eh bien ! tu vas payer
Les innombrables torts que tu fais au commerce
Que depuis si long-temps j'exerce. "

Notre captive avec miaulement piteux :
"Ah ! " dit-elle, " épargnez une sœur ès-science ;
Nos intérêts sont uns. "- "La stupide insolence !"
Repart l'homme, "on dirait que les Chats, que ces gueux
Sont de moitié dans nos affaires ;
Si votre race infâme était hors du pays,
Débarrassés de vos soins mercenaires
Nous seuls défendrions contre Rats et Souris
Le fromage et le lard ; et c'est un fait acquis,
Nous pourrions élever soudain nos honoraires."

Voyant le fer levé sur le cou de sa sœur,
Un Chat pour la sauver fit ce discours vainqueur : -

"Dans chaque climat, dans chaque âge,
A la ville, comme au village,
Nous voyons noble ou roturier
Exerçant le même métier
Ne pas s'accorder davantage.
Le savetier médit du savetier,
Chacun de s'accuser du fait de braconnage
De braconnier à braconnier.
Le médisance est de tous l'apanage,
Et même la beauté démolit la beauté.
Les rois contre les rois, voyez l'absurdité !
Se chamaillent entr' eux pour absorber le monde,
Et pour pouvoir régner sur la terre et sur l'onde.
Sachons limiter nos désirs,
Comme beautés et rois ne faisons pas tapage,
Afin d'amuser nos loisirs ;
Dans nos débats les Rats seuls auraient l'avantage ;
Nous courons même proie, il est vrai ; -Mais en sage
Chacun de ce gibier, faisons notre partage
Et chassons-le pour nos menus plaisirs."

Livre I, fable 21




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