La Vieille Poule et le Coq John Gay (1685 - 1732)

Dites à votre enfant, dites à votre élève :
"Abstiens-toi de cela, cher fils, ou cher enfant,"
Et vous croirez bientôt au texte édifiant
Qui dit : "Nous descendons tous d'Eve! "

De picoter se livrant au travail,
Comme une vieille Poule escortait son bétail,
Et lui montrait le grain, pour essayer son aile
Un Poulet étourdi vola sur la margelle
D'un puits voisin,
Et dans l'abîme, crac ! dégringola soudain.
Las ! le cœur de la pauvre mère
Fut rempli tout le jour d'une douleur amère.
Elle marchait pensive, en proie à ses soucis,
Quand elle vit un Coq, et reconnut son fils.
"Fils," dit-elle, "je sais très bien que tes années
D'un être indépendant t'ont fait les destinées,
Je te vois vigoureux, bien portant et hardi,
Et d'un nombreux cercle applaudi,
Ayant bon pied, bon œil, et fort gentille allure,
Et j'admire surtout l'éclat de ton armure ;
Tu peux te présenter dans tous les carrousels,
Je ne crains rien pour toi de tes pareils,
Mais ce dont je te prie, écoute- moi, de grâce,
C'est de fuir de ce puits l'orifice effrayant ;
Pour le malheur de notre race
Ce lieu fatal fut fait, mon œil est clairvoyant ;
Inscris cela sur tes tablettes,
Et fuis toujours ces oubliettes."

"Grand merci, mère ! " a dit le Coq.
Et pourtant chaque jour son cœur fait tic, tac, toc ;
Alors que du puits il s'approche.
D'obéir à sa mère il se fait un reproche.
Pourquoi cette défense et quel est son motif?
Ma mère me croit-elle une Poule mouillée ?
Croit-elle mon courage à l'état négatif?
De ce doute offensant ma pensée est souillée :
Mais j'y songe, en ce puits peut-être est-il encor
Pour sa jeune couvée un immense trésor ?

"Ma foi ! quoiqu'il en soit je tente l'aventure."
Il dit, déjà du puits il est sur l'ouverture.
Il tend le cou d'un regard scrutateur
Pressé d'interroger sa vaste profondeur.
D'un ennemi d'en bas soudain il voit la face ;
Colère, il se hérisse ; -et soudain hérissé
L'ennemi se présente-il menace, on menace ;
Chacun de ses traits est bissé ;
Alors dans sa fureur de piquer une tête
Pour voler au combat-Mais l'eau froide l'arrête ;
L'ennemi c'était lui - c'était l'affreuse mort :
Mais tout en se noyant : " Mère, sans ta défense,"
Dit-il, " point n'eusse ainsi fini mon existence,
Ni dans le fonds d'un puits subi si triste sort !"

Livre I, fable 20




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