Les deux Chats, la Marmite et le Grillon Fleury Donzel (1778 - 1852)

Un jour, à Grigny, Marguerite
Met deux poules dans la Marmite,
Et puis va dans le potager
Et le verger,
Afin de remplir sa corbeille
D'ognon, de pois, de chou, d'abricots, de groseille
Et d'oseille.
Elle absente, Mouche et Raton,
Chats commensaux de la maison,
Descendent du grenier ; au foyer, sur la pierre,
Voilà mes Chats sur leur derrière.
Ah ! quel parfum délicieux !
Dit Raton en fermant les yeux.
Oui, dit l'autre, à rester ici tout nous invite.
Quelle douce chaleur ! ah ! mais n'oublions pas,
Frère, nous dont la vie est celle d'un ermite,
Que, quel qu'il soit, l'objet qui cuit dans la Marmite
N'est pas fait pour notre repas.
Cher Grillon, dit alors la Marmite tout bas,
Auprès de moi rends-toi bien vite.
De tous les Chats, viens voir les plus honnêtes Chats.
Que leur propos sont doux, leurs manières polies !
Que leurs moustaches sont jolies !
Et qu'ils ont de bons sentiments !
Oh ! que voilà d'honnêtes gens !
Je les vois, dit Grillon; eh bien ! que veux-tu faire?
Devenu sage à tes dépens,
Tu sauras m'empêcher d'agir à la légère.
J'ai depuis trop longtemps le ventre dans le feu :
Je voudrais prendre l'air, me découvrir un peu.
Commère, si tu te hasardes
A lever ton chapeau devant ces étrangers ;
Pour diminuer les dangers,
Il faut te tenir sur tes gardes :
C'est le plus sûr pour tes poulardes.
Comme une huître baille au soleil,
La Marmite, entr'ouvrant son cercle,
Avec précaution soulève son couvercle,
Du Grillon suivant le conseil.
Dieux ! quelle vapeur ! non jamais rien de pareil
N'a flatté l'odorat, dit alors Raton. Mouche
Ne se possède plus : l'eau lui vient à la bouche :
Et tous deux, sans perdre du temps,
Comme ils ont fait la découverte
Que la Marmite close est maintenant ouverte,
Ils vont voir ce qui cuit dedans.
Deux poules, ô fortune, elles vont brûler frère :
Hâtons-nous donc à les extraire.
Dans la Marmite, au même instant,
Une double griffe descend ;
Mais le couvercle retombant
Sur les deux bêtes scélérates,
Elles sont prises par les pattes :
Et Marguerite, qui survient,
Les étrille comme il convient.
Lors le Grillon : eh bien ! ma mie,
Mes conseils étaient-ils prudents ?
Méfions-nous toute la vie
Des papelards à beaux semblants.

Livre III, fable 1




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