Au pain qu'à goûter on leur donne,
Des écoliers joignaient pendant l'automne,
Des mûres qu'en cette saison
On trouve sur certain buisson.
Le régent permettait la chose,
Malgré son naturel taquin.
On le croira sans peine : est-il rien qui s'oppose
A l'usage d'un fruit qui de soi-même est sain?
S'il faut dire pourtant son motif véritable :
C'était le salut d'un jardin
Ignoré jusque-là de son peuple latin,
Et dont le fruit devait figurer sur la table
Et faire l'honneur du dessert
Tout l'hiver ;
Mais dont la perte était inévitable,
S'il était jamais découvert
Par la gent qui traduit Virgile ainsi qu'Horace,
Et qui, dans un clin d'œil, sait vous mettre une place
Nette comme la main ; qui pille ; qui détruit
Et la feuille et la fleur, et la branche et le fruit ;
Gent surtout experte en maraude,
Qui toujours tourne, cherche et rôde.
Le régent avait jugé
Que ses pommes seraient mûres
Quand la classe aurait mangé
A peu près toutes les mûres.
Or, c'était assurément
Bien jugé pour un pédant.
Un mois, sans plus, suffisait à notre homme
Pour voir au fruitier mainte pomme
Des écoliers braver la dent.
Mais le moyen qu'un pédant se contienne
Pendant un mois ? Est-il rien qui retienne
Le naturel ? Notre régent bientôt,
Rentrant dans son caractère,
Mit son calcul en défaut.
Je vais conter cette affaire.
Les écoliers, d'une main,
Forcés de tenir leur pain ,
Quand, de l'autre, sur les haies,
Ils allaient cueillant les baies ,
N'en pouvaient guères à la fois
Manger plus de deux ou trois,
Tout en se piquant les doigts.
Il nous faut, dit l'un d'eux, dans la même corbeille,
Rassembler tout le fruit que nous pourrons cueillir :
Nous ferons la récolte avec plus de loisir ,
Et nous la mangerons avec plus de plaisir.
Aussitôt fait que dit. D'une ardeur sans pareille,
On travaille, et chaque lutin
S'en vient, au même magasin,
Avec fidélité déposer son butin.
Déjà la corbeille était pleine,
Et la troupe dansait autour,
Prête à la partager, lorsqu'en criant accourt
Le régent que le diable amène.
Arrêtez , jeunes imprudents !
Quel bonheur que j'arrive à temps
Pour leur sauver à tous la vie !
Ah ! bon Dieu, quel excès, quel effroyable amas !
Malheureux, vous ne voyez pas
Le choléra morbus et la dysenterie,
Le flux de sang, la peste et mille maux affreux
Cachés sous ces fruits dangereux !
Il dit : et la corbeille entière
S'en va rouler dans la poussière.
Flux de sang, choléra, dysenterie et fruit,
Travail, joie et plaisir, tout ensemble est détruit.
Hélas ! et la gent écolière
De larmes de regret sent mouiller sa paupière.
On se tait cependant par crainte, et par respect
Je n'en mangerai pas pour cela mon pain sec,
Dit tout bas un mutin: Je ne l'en tiens pas quitte.
Un quart d'heure nous reste : Allons, qu'on en profite.
A maraude ; amis, je suis sûr
Que nous aurons quelque* aventure.
Et la bande le suit. Vers certaine clôture
Ils arrivent bientôt. Que vois-je sur ce mur,
Dit l'un ; d'arbre fruitier n'est-ce pas une branche ?
Il faut s'en assurer : courbé-toi ; sur ta hanche,
Je vais sauter. Il sauté: Il se dresse-, et sa main
Tire la branche à lui. Point détruit ! nous y sommes.
Venez tous. Le bon coup! Un verger plein de pommes !
Et le drôle est dans le jardin:
La bande saute après. Calville, api, reinette ;
Tout est raflé, la place est nette.
Qui fut penaud le lendemain ?
Ce fut notre régent qui vint de bon matin
Visiter, à son ordinaire,
Son potager, ses fruits chéris ,
Et recula d'horreur à l'aspect de la terre
Couverte au loin de leurs débris.
Il écumait, criait, jurait, et, dans sa rage,
Il allait tout fouetter, lorsque quelqu'un lui dit:
Mon ami, vous perdez l'esprit.
Pourquoi faire tant de tapage?
Pourquoi tourmenter ces enfants ?
Je ne vois dans tout ce dommage
Rien que de naturel. Avec un peu de sens,
On pouvait, il est vrai, prévenir le ravage :
Un autre que vous, de ces fruits.
Que vos enfants avaient à grand'peine cueillis,
N'eut jeté qu'une part et laissé manger l'autre ;
Mais le bon sens, le jugement,
N'ayant jamais été le lot d'aucun pédant,
Ne pouvait pas être le vôtre.