Les deux Écoliers Ivan Krylov (1768 - 1844)

« Sais-tu, Simon, après la classe,
Comme un troupeau fuit son berger,
Courons aux champs ; faisons main basse
Sur tous les marrons du verger.
— Fœda, les marrons sont pour d'autres.
L'arbre est haut, nul de nous aux branches n'atteindrait,
Et, pour y grimper, il faudrait
Bien d'autres forces que les nôtres !
Adieu donc les marrons ! — Quelle idée ! et pourquoi ?
Vraiment, mon cher, la peur t'abuse.
Quand la force n'est pas pour soi,
On y supplée avec la ruse.
Attends! j'ai tout prévu :
jusqu'aux branches du bas
Pour grimper, cher petit compère.
Le dos courbé, tu m'aideras ;
Le reste ira tout seul, j'espère.
Ah ! les marrons vont voir beau jeu !
Jusqu'à la gorge il faut en prendre ! »

Mais la classe a cessé. Brûlant d'un nouveau feu,
Nos gourmands au jardin volent sans plus attendre.
Simon, tout essoufflé, de sueur est trempé,
Fœda sur son dos monte; il grimpe... il est grimpé.
Sur le sommet de l'arbre il s'installe à son aise,
Et, comme un rat dans un buffet,
Jusqu'à ce que sa faim s'apaise,
Il cueille et mange tout, dans un calme parfait.
Mais Simon, du régal n'ayant que les amorces,
En se léchant la bouche, errait aux environs,
Et Fœda, croquant les marrons.
Jetait à l'autre les écorces.

J'ai vu bien des Fœdas. Quand jusqu'aux hauts emplois
Leurs amis les poussant engraissaient leurs familles,
Des parvenus d'hier les amis d'autrefois
N'avaient toujours que les coquilles.

Livre X, fable 9




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