La Queue du Renard Ivan Krylov (1768 - 1844)

Par une nuit d'hiver, sortant de sa tanière
Pour laper le coup du matin,
Certain renard vint , en voisin,
Par un trou, boire la rivière.
Il gelait fort; le sire était très peu futé ;
Des glaçons par mégarde , en rasant la surface,
Il engagea sa queue , et le froid dans la glace
De ses poils qui traînaient fixa l'extréniité.
Le mal n'était pas grand sans doute;
Si , pour sauver sa queue, en tirant par degrés ,
Il eut fait abandon des poils aventurés,
Sans craindre les chasseurs, il eut repris sa route.
Mais quoi ! gâter sa queue! Il n'y pouvait songer ;
Sa queue aux crins dorés , sa fourrure ondoyante.
Au poil si doux et si léger !
Non pas : mieux vaut qu'il patiente.
Les gens dorment encore, il n'est aucun danger;
Puis le dégel viendra peut-être,
Et sa queue hors du trou sortira sans effort.
Il attend... il attend... 11 gèle encor plus fort.
Il regarde... et le jour déjà commence à naître.
De peur mon renard presque fou
S'agite alors et se démène.
Vains efforts ! rien ne peut le dégager du trou !
Vient à passer un loup qui courait par la plaine.
" Frère, ami, sauve-moi! Je n'ai plus qu'à mourir! »
Le loup soudain, voyant sa peine,
S'arrête et vient le secourir.
Mais, le sauvant à sa manière.
Il lui coupe tout net la queue au ras du dos ;
Et mon sot, écourté, retourne à sa tanière,
Heureux avec sa peau d'avoir sauvé ses os.

Kclaircissons ma fal)le, en mettant l'homme en jeu
J'ai vu maint sot qui, de sa nuque
Pour ne pas perdre un seul cheveu.
S'est réduit à porter perruque.

Livre X, fable 8




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