Les deux Écoliers Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Dans un petit bourg agricole
Deux gars s’en allaient à l’école
 Leurs livres à la main.
 Ils longeaient le chemin
Et, tenant un grave langage
Qu’ils ne comprenaient qu’à moitié,
Ils voulaient échanger le gage
D’une indissoluble amitié.

Tout à coup, dans le fond de l’herbe,
Tous deux virent un fruit superbe,
Une pêche pourpre et velours.
Jetant là des livres trop lourds,
 Chacun d’eux se dépêche
 De courir vers la pêche ;
Mais, dans ce grand empressement,
L’un tombe avant d’être assez proche,
Et l’autre écrase dans sa poche
Le fruit qu’il serre étourdiment.
Alors la querelle commence,
Et l’un dit avec véhémence
À l’autre, décontenancé :

— Oui, te voilà bien avancé !
Or, si tu m’avais laissé faire,
Je l’aurais partagée en frère.

Et l’autre, sur le même ton :

— Moi je ne suis pas si glouton ;
 Écoute,
Je voulais te la donner toute.

Comme ils mentaient tous deux alors
En parlant ainsi de partage,

Ils se fâchèrent davantage.
L’un saisit l’autre à bras-le-corps
 Et le pousse avec force
Contre un arbre à la frêle écorce.
L’arbre tremble et, sur le gazon,
Les pêches tombent à foison.
Devant une pareille aubaine
Les gars sentent mourir leur haine :

— Que nous sommes fous, dirent-ils,
 Et peu subtils !
 D’une façon grossière
 Nous nous emportons ;
 Nous nous disputons
Un fruit tombé dans la poussière,
Pendant qu’un arbre auprès de nous
En porte tant et de si doux !

Si les hommes de tous les âges
Voyaient avec attention
L’objet de leur contention,
Il ne se diraient pas plus sages
 À tous égards
 Que ces deux gars.

Livre III, fable 14




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