Les deux Chats Joseph Hüe (1800 - 1836)

Fuyons le lâche délateur:
Qui se fait dénonciateur,
Du mal s’il n’est souvent l’auteur,
Montre toujours un mauvais cœur.

Deux chats, deux francs vauriens, deux insignes fripons
(Raton et Rodilard étaient, je crois, leurs noms),
Chats d’ailleurs bien connus de tout le voisinage
Pour courir moins souvent aux souris qu’au fromage,
Poussés tous deux, un beau jour,
D’un même esprit de malice,
Pénétrèrent dans l’office,
Méditant un mauvais tour.
Les gens du logis pour l’heure
Étant sortis, ils purent à loisir
Se glisser, fureter par toute la demeure,
Lécher, piller, selon leur bon plaisir.
En l’absence de leur hôte
Rien n’était à redouter.
Et point ne se tirent faute
Mes fripons d’en profiter.
Les voilà donc chacun en quête,
Flairant tous deux à qui mieux mieux,
A tout ce qui s’offre à leurs yeux
Tous deux à l’envi faisant fête.
Escaladant buffet, table, étagères, tout,
De l’un à l’autre bout,
Visitant maint plat, mainte assiette,
Et faisant partout place nette.
Mais voilà qu’en un coin Raton
Tout à coup découvre un chapon ;
Le voir et s’en saisir d’un moment fut l’affaire;
Il s’esquivait avec ; mais l’autre l’arrêtant
Prétend
L’aubaine partager avec lui comme frère.
Raton, non : et voilà la guerre.
Peut-être même allait-on voir entre eux
Quelque combat pareil à ces combats fameux
Qu’a chantés la lyre d’Homère.
Mais tout à coup la servante survient:
Nos deux Achilles, lors, de s’enfuir au plus vite.
Or avec le chapon Raton a pris la fuite:
Rodilard mécontent à l’office revient.
La servante y faisait tapage :
« Voyez le bel ouvrage !
» Oh! maudits chats!… Et mon chapon?….
» — Votre chapon ? — Qui l’a pris? — C’est Raton ;
» Et si j’étais à votre place,
» Je jure bien que pour le coup
» Je ne lui ferais nulle grâce :
» Ce Raton vous dérobe tout. »

OU! de combien d’enfans Rodilard est l’image!
Un camarade a-t-il causé quelque dommage,
Ou pris quelques plaisirs qu’on n’ait pu partager?
On le dénonce vite afin de s’en venger.