La Cigogne, la Grue et le Canard Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Une cigogne ayant eu des malheurs
(Elle avait spéculé sur la rente d'Espagne),
Soit par économie, ou pour cacher ses pleurs,
Alla s'ensevelir au fond d'une campagne.
Dans ce lieu ne vivaient que de pauvres oiseaux
De l'espèce la plus commune :
Des geais, des pinsons, des moineaux,
Gens sans naissance et sans fortune.
Une grue, un canard, cependant l'habitaient,
Et de l'endroit les gros bonnets étaient.
La grue à l'arrivante alla rendre visite ;
Or, cette grue, à parler franchement,
Était bête, mais bonnement,
Ne se croyant pas du mérite,
Et ne prétendant pas que pour fine on la prît.
La visiteuse, en personne discrète,
Après quelques instants, fit sagement retraite.
Pendant ce peu de temps, elle avait, sans esprit,
Dit quelques mots du beau temps, de la pluie,
De la façon d'accommoder un plat,
De ces riens sur lesquels la ménagère appuie.
Tout ce discours pouvait être assez plat,
Mais point méchant ; elle était bonne,
Et n'avait dit aucun mal de personne.
« Je m'en arrangerai, » dit, après son départ,
Notre cigogne ; elle n'est pas habile,
Son entretien est commun et futile,
Mais, où chercher ici de l'esprit et de l'art !
J'en tirerai quelque recette utile,
Et, d'ailleurs, je pourrai, sans craindre son caquet,
Avec elle, le soir, faire un cent de piquet. »

A peine elle achevait, quand d'un air intrépide,
Le canard se présente. Encore plus stupide
Que notre grue, il se croyait très-fin,
Glosait sur tout ; c'était enfin
Le parleur le plus fat et le plus insipide.
Pendant plus d'une heure durant
Bavarda ce sot ignorant ;
Parlant toujours pour ne rien dire,
Ou pour dire du bien de lui
Et du mal du prochain. Bâillant, mourant d'ennui,
La cigogne était au martyre.

« Mon cher monsieur canard, lui dit-elle, en courroux,
A l'avenir, veuillez rester chez vous.
Je puis fort bien m'arranger d'une bête,
Quand elle est bonne et sans prétention,
Et qu'elle a la discrétion
De ne me pas rompre la tête ;
Mais un bavard, un idiot
Qui cligne l'œil, se sourit quand il cause,
Et s'applaudit à chaque mot,
Je l'évite, et ne sais au monde pire chose
Que d'être condamnée à vivre avec un sot. »

Livre II, fable 20




Commentaires