Dame Cigogne, un jour, disait en maugréant :
« Jupiter a parfois de sottes fantaisies
Et fait contre le goût d'étranges hérésies !
J'en suis un exemple vivant.
D'abord il m'a donné des pattes
Avec mon corps tout à fait disparates ;
Elles sont bien trop longues de moitié
Et maigres à faire pitié!
Je me demande à quoi ces échasses sont bonnes !
De mes mollets, en vérité,
Il ne m'est pas permis de tirer vanité
Comme font certaines personnes.
Et mon bec ! Croyez-vous qu'il soit bien amusant
D'avoir un nez en façon de... canule ?
Cet appendice déplaisant
Est le comble du ridicule ! »
Jupiter l'entendit : « Viens donc un peu vers moi »,
Lui cria-t-il du haut de son Olympe.
L'autre, sans hésiter, jusqu'aux nuages grimpe,
Monte les escaliers, et devant le Dieu-Roi
Résolument se plante et se tient coi.
Cette audace eut le don de plaire
Au puissant Maître du tonnerre :
« Écoute, lui dit-il, Cigogne, mon amour ;
Je pourrais te jouer un tour
En te taillant sur le modèle
Que tout bas ton désir appelle ;
Mais non ! je suis bon prince, et veux, sans te punir,
Te rendre sage à l'avenir. »
Disant cela, Jupiter tonne :
« Holà, Mercure ! Qu'on me donne
Tout ce qu'il faut pour travailler. »
Il commence alors à tailler
Avec l'aplomb qui naît de l'habitude
Une Cigogne, en façon de prélude ;
Puis rognant d'un coup de ciseau
Pattés et bec à son oiseau,
Il l'anime d'un souffle et dit : « Je te fais Oie !
Eh bien, dit-il à la plaignante, en proie
À la plus complète stupeur,
Faut-il t'en faire autant ? — Autant ? Ah ! quelle horreur !
Moi, ressembler à cette créature !
Mais voyez donc cette tournure,
Ces pieds épais, ce nez camard !
Ah, non ! je vous le dis sans fard :
Je suis encor cent fois mieux qu'elle !
- C'est fort bien », dit le Dieu, n'en parlons plus, ma belle,
La chose est entre nous ; et l'on n'en saura rien ;
Mais tâche de loger ceci dans ta cervelle :
C'est que le mieux est l'ennemi du bien. »