Avez-vous rencontré madame la cigogne
Elle est triste à pleurer, elle fait peine à voir
Elle braille, elle geint, elle enrage, elle grogne,
De s’être fait berner, de s’être fait avoir.
Que s’est-il donc passé pour que notre commère,
Soit à ce point troublée, à ce point dans l’émoi ?
Je vais vous le conter, vous confier l’affaire,
Qui n’est pas si banale, ah non, ça, croyez-moi !
Hier matin encor, l’oiseau était en fête
Brandissant son courrier comme un fier étendard,
Tenant en ses deux mains l’objet de sa tempête :
Une invitation de monsieur le renard,
À rejoindre les bois, et, contre toute attente,
À venir déjeuner, en un lieu forestier,
Marque d’inclination, geste de bonne entente,
Promesse fraternelle et signe d’amitié.
Mais pour toute amitié, le renard, bien peu sage,
Toutefois très rusé, c’est là son seul atout.
Servit à l’échassier deux cuillers de potage,
En guise de repas. De la soupe, et c’est tout !
Un bouillon servi chaud, dans des assiettes creuses.
On vit alors l’oiseau tenter bien vainement,
D’y introduire son bec, expérience affreuse,
Qui pourtant remercia et partit fièrement.
C’est en secret, alors, que la cigogne blanche,
Ressentant la colère et l’humiliation,
Fomente un plan fameux, prépare sa revanche ;
Elle écrit à son tour, une invitation,
À l’endroit du vilain, restant dans sa tanière,
Qu’elle cachète alors, qu’elle poste aussitôt ;
Pour le moins, c’est certain, la bête est rancunière
Et le roux imposteur l’apprendra très bientôt.
Notre oiseau migrateur s’y connaît en cuisine
La viande sent bon et le menteur goulu,
S’impatiente un peu, se lèche les babines,
Mais… attendez un peu, notre hôte a tout prévu :
En un vase à long col et d’étroite embouchure,
Le repas est servi, donnant bien du tintouin
À lui dont le museau n’est pas à la mesure
Du bec pointu. Vengeance ! Eh… va, fourbe, chafouin.
En guise de leçon, en guise de morale,
Je pourrais mettre en garde, avertir les fâcheux,
Et leur faire observer cette erreur magistrale,
Commise par Renard et l’écueil de ses jeux.
Je pourrais faire ainsi, la chose est très facile,
Je ne peux m’empêcher, mes amis, néanmoins
Dans cette histoire-là, de voir deux imbéciles,
Vipère d’un côté, et de l’autre sagouin.
Le thème revient très souvent dans les fables, dans LA fable, en général, celui du l'imbécile qui se retrouve pris à son propre jeu. Ici, la morale est bien différente.