Le Corbeau et le Renard Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)

QUATRE FABLES SUR CETTE HISTOIRE

Le Corbeau et le Renard

Monsieur Corbeau perché à deux mètres cinquante
Sur un arbre peut-être, ou bien un contrefort,
(Mais la précision n'est pas très importante),
Tenait résolument en son bec un beaufort.
D'où venait ce présent, l'histoire ne dit guère
On peut tout supposer, on peut tout inventer...
L'avait-il simplement trouvé, gisant, à terre,
Ou l'avait-il volé à quelque fromager ?

Monsieur Renard, rusé, plus malin que tartufe,
N'est pas, on en convient, la moitié d'un sot.
Doué, gratifié d'une fameuse truffe,
Plus encor qu'un cocker, d'un précieux museau.
Tout arôme engageant s'approchant de sa gueule
Se devra d'être alors reconnu, distingué.
Ainsi, pas une odeur, oh non, pas une seule
À son attention ne saurait échapper !

C'est ainsi que, quidam, il fit sa promenade
Près de cet arbrisseau ou de ce contrefort,
Presque naïvement, sifflotant, sans parade,
L'air de rien, en passant, simplement, sans effort,
Quand il vit tout soudain, en relevant la tête :
Un oiseau, ça alors ! Et ma foi, quel oiseau !
Surtout pas rossignol, encor moins alouette,
Quelle chance, voyez ! Un sublime corbeau.

L'oiseau noir intrigué, qui n'avait pas encore
Touché à son dîner, se pencha gentiment,
En recherche à nouveau, de quelque métaphore,
Le renard poursuivit, astucieusement :
Croyez-moi, sans mentir, oui, si votre ramage,
Si vos gazouillements, si vos chants en patois
S'approchent même un peu de votre beau plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.

À ces mots le corbeau ne se sent pas de joie :
Oubliant un instant son fromage embaumé
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie,
Dont se saisit alors, le renard, sans tarder.
Je suis ici, flatteur, vous êtes à l'écoute,
C’est ainsi que, monsieur, je vis à vos dépens,
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, instruit, partit piteusement.



Le Corbeau et le Renard 2

Un corbeau, quelque peu voleur,
Tenait en son bec un fromage,
Perché sur un arbre, en hauteur,
Il intriguait le voisinage.
Un renard rusé, beau parleur,
Vint à passer dans les parages,
Sans doute attiré par l’odeur,
Il tint à peu près ce langage.

Que vous êtes beau,
Monsieur Corbeau !
J’aime votre voix
Au coin d’un bois.

Je soupçonne que votre habit,
Votre robe, votre plumage,
Est certes du même acabit,
Que votre voix, votre ramage !
Voudriez-vous, mon bon marquis,
Nous montrer ces beaux avantages
Tous ces privilèges exquis
Et nous les offrir en partage ?

Que vous êtes beau,
Monsieur Corbeau !
J’aime votre voix
Au coin d’un bois.

Oubliant son repas comtois
Un brun sensible à cet hommage,
Corbeau fait entendre sa voix
Sans plus attendre davantage.
C’est ainsi que le maladroit
Se délesta de son fromage.
On trouve des leçons parfois,
Dans les moindres enfantillages.

Je suis un flatteur,
Un flagorneur,
Vous m’avez donné
Votre diner.

Ah, que c’est dommage !
Votre fromage
Est pour mon museau,
Très bel oiseau.



Le Corbeau et le Renard 3

Gentil Corbeau, juste une fois
Si tu partageais ton fromage,
Ce beau repas, ce met de choix,
Politesse de voisinage… ?
Nous pourrions, si tu veux bien,
Le manger tous deux, sans tapage,
Allez, l’oiseau, descends et viens,
Rejoins la terre avant l’orage !

Charmant Corbeau, combien de fois,
Au-delà de ces bavardages
T’a-t-on répété que ta voix,
N'égale que ton beau plumage ?
Acceptes-tu, bon musicien
De faire entendre ton ramage ?
Tu restes là, tu ne dis rien,
C’est ennuyeux, c’est bien dommage…

Pauvre corbeau, derrière toi
Je peux entrevoir le visage,
D’un jeune enfant venu au bois
Pour te mettre dans une cage,
Ou bien serait-ce un chat, un chien,
Pourquoi rester à ton étage,
N'as-tu pas peur de ces vauriens,
Ni de ces animaux sauvages ?

Vilain Corbeau, écoute-moi…
Veux-tu bien lâcher ce fromage ?
Je le répète mais pourquoi,
N'as-tu pas compris le message ?
Après tout, ce n’est pas le tien,
Tu l’a volé dans le village,
Au brigadier, bon citoyen,
Droit et auguste personnage !

Affreux corbeau, gros scélérat !
Eh bien, garde-le, ton laitage !
J’irai sans toi, bougre d’ingrat
Voler à mon tour un fromage !
Et je m’en vais gagner mon bien
Foi de Renard, par mon ouvrage…
Je n’ai besoin d’aucun soutien,
À votre dame, mes hommages !



Le Corbeau et le Renard 4

Monsieur Corbeau n’était pas sur la branche
D’un peuplier ni sur celle d’un if
Mais sur le sol, un matin de dimanche,
Abasourdi, sidéré et pensif.
Encore honteux, les ailes repliées,
Il regrettait la perte de son bien,
Le front penché, la mine contrariée,
À la merci d’un chat, d’un loup, d’un chien.

- Pourquoi rester les plumes dans la terre
Quand vous pourriez d’un coup, d’un seul envol,
Vous retrouver, patte avant, patte arrière,
Dans les hauteurs, loin du bruit, loin du sol ?
Lui demanda alors, son vieux compère,
Monsieur Renard, qui n’était pas bien loin…
À quelques pas, caché dans son repaire,
Qui dégustait son fromage avec soin.

- Pourquoi rester parmi les feuilles vertes
Si je n’y puis conserver mon diner ?
De mon repas, je déplore la perte
Bien que perché, à l’abri, confiné.
Je me croyais épargné de tout piège…
Mais, à la fin, que s’est-il donc passé ?
Quel mauvais sort, quel cruel sortilège,
Devant mes yeux s’est-il manigancé ?

De mes doux mots, vous fûtes la victime.
Vous m’en voyez navré, mon cher ami.
Mais c’est ainsi : en hauteur, à la cime
D’un peuplier ou caché dans son nid,
Laissez couler fureur et bavardage…
Ou tout du moins, regardez-les passer,
Laissez parler, ignorez le tapage,
Que vous soyez loué ou rabaissé.

Avril 2021 / Août 2022 / Novembre 2023


Inspiré de Esope et La Fontaine. Ce dernier est cité à plusieurs reprises dans la dernière strophe du premier texte. Il existe des chansons sur les trois premiers textes. La seconde a été mis en musique pour chorale à 4 voix satb, avec un refrain, non indispensable à l'histoire.

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