Le Laboureur et la Cigogne Nicolas François de Neufchâteau (1750 - 1828)

Les enfants de Cérès ont bien droit de se plaindre :
Pour eux, que d'ennemis, que de fléaux à craindre !
Ils sont sans cesse harcelés.
Un pauvre Laboureur ainsi voyait les grues
Soudain pour dévaster ses blés
Fondre en troupes du haut des nues,
Sans qu'il pût s'en douter. A ces brigands ailés
Il tendit un filet : la Cigogne y fut prise.
« Est-ce à moi que vous en voulez ?
Dit-elle au Laboureur, ai-je la couleur grise
De vos ennemis signalés ?
Non, vous voyez mon noir plumage.
D'insectes vous savez que je purge vos champs ;
J'ai même droit à votre hommage
Par les mœurs, les nobles penchants,
Et les procédés si touchants
Dont mon nom peut lui seul vous rappeler l'image ;
Vous feriez une grande erreur
En confondant ici la Cigogne et les grues.
Ma foi ! du même vol, répond le Laboureur,
Ici toutes sont accourues.
A qui fais-je la guerre ? A des oiseaux voleurs :
Je m'embarrasse peu quelles sont leurs couleurs.
Avec eux, blanche ou non, je te vois réunie ;
Avec eux je puis te ranger,
Sans te faire aucune avanie.

Des gens on peut fort bien juger
Par leur société. C'est le moindre danger
De la mauvaise compagnie.

Livre I, fable 5




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