Un matin du printemps, le Renard dans la plaine
Voit rôder l'Ours pesant, de ses monts descendu : ·
L'Ours paraît en extase, et comme suspendu
Devant les grands poiriers dont la campagne est pleine.
Il va de l'un à l'autre ; et pourtant à fleurir
Ces arbres commencent à peine :
De leurs premiers boutons l'espérance incertaine
Vient seulement de s'entr'ouvrir.
Le Renard, à part soi, dit : « Comment découvrir
Ce que ce gros balourd peut avoir dans l'idée ?
« C'est à ces poiriers qu'il en veut :
" Oui, la chose est bien décidée :
<< Mais dans ces arbres-là qu'est-ce donc qui l'émeut ?
« Ma foi ! le devine qui peut !
Il faut que sur ce point Renard se satisfasse.
Avant que d'entamer la conversation,
Il se promène aussi sans affectation,
Tourne, et vire, et change de place,
Et fait si bien qu'enfin le voilà face à face
De l'Ours en contemplation.
« Mon grave observateur, lui dit la fine bête,
Je vous salue : instruisez-moi,
De grâce ! Vous logez, je crois,
Bien des choses dans cette tête
Si profonde et si longue : enfin, plus je vous vois,
Plus votre air à mes yeux montre je ne sais quoi
D'un astrologue, ou d'un prophète.
Mais puisque ces poiriers fixent vos yeux charmés,
Dites-moi si vous présumez
Qu'on ait beaucoup ou peu de poires cette année.
On en aura beaucoup. -Diantre ! vous l'affirmez !
J'en suis sûr.--- Ah ! tant mieux ! annonce fortunée !
Et sans doute elle est raisonnée :
Vous ne promettez pas des poires, au hasard
De vous voir par le fait démenti tôt ou tard,
Comme tant d'almanachs qui sont tous illusoires ;
Mais vous...! -Moi, je te dis qu'on aura force poires.
- Rien n'est plus positif ; mais encore, pardon
Si j'exige une confidence :
Sur quel augure, ou par quel don,
Des poires pouvez-vous garantir l'abondance ? »
L'Ours, que le Renard pousse à bout,
Et forcé de lui dire tout
De son présage favorable
Sur les fruits du poirier, avoue ingénument
Qu'il n'a qu'une raison, unique et mémorable,
C'est qu'il les aime éperdument.

Vous riez de son argument,
Lecteurs : vous le trouvez digne de son génie ;
Mais vous, vous, de cette manie
Avez-vous su vous préserver ?
Un avenir flatteur vous fait aussi rêver.
L'Ours prédit les poires qu'il aime :
Ce que vous desirez de même,
C'est ce que vous pensez qui doit vous arriver.

Livre I, fable 6




Commentaires