L'Ours, le Singe, et le Renard Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Gille, durant la nuit entière,
De son plan de finance occupé gravement,
N'avait pu dormir un moment.
En y rêvant toujours il rejoint son compère.
--- Arrive donc, lui dit l'impatient Renard.
Il commence à se faire tard ;
Bientôt ici monseigneur va se rendre :
Vite, concertons-nous. Ton vase, le voilà ;
Je m'en charge. Sans plus attendre,
Toi, grimpe sur cet arbre, et reste caché là ;
Lorsqu'il sera temps d'en descendre,
Vers toi je lèverai les yeux.
Bon, répond Gille, c'est au mieux.—
Il grimpe donc, s'enfonce à travers le feuillage ;
On ne voit déjà plus son corps ni son visage ;
Et bien fin qui là-haut irait le dénicher,
Tant il prend soin de s'y cacher.
Cependant, gare l'abordage !
Le ministre, par le furet,
Vient d'être mis dans le secret.
Il feint de l'ignorer ; et, contre son usage,
Affectant un ton familier :
Çà, dit-il au Renard, très féal conseiller,
Je veux enfin terminer mon ouvrage ;
Mais un seul point m'arrête, il est embarrassant :
Où trouver un bon intendant ?...
S'il faut te l'avouer, de peur d'une méprise,
J'hésite encore sur le choix.
De tous les candidats tu sais quels sont les droits :
Or, dis-moi, parle avec franchise,
A qui d'entre eux donnerais-tu ta voix ?
-Très gracieux seigneur, lui répond l'hypocrite,
Puis-je avoir un avis quand le ministre hésite ?...
Je me borne à ces mots : évitons les délais.
Le choix dût-il être mauvais,
Il ne faut pas qu'on le diffère.
L'intendant, selon moi, le plus propre à l'affaire
Est celui qui, placé dans certains cas urgents,
Sait au moins amuser les gens
Quand il ne peut les satisfaire.
Le Singe, par exemple, est en fonds pour cela....
Je n'ose toutefois vous dire : Gille est là;
Gille saurait au mieux remplir ce ministère....
-Si fait, lui répond l'Ours, qui dans leur traquenard
Veut surprendre à-la-fois le Singe et le Renard ;
Oui, ton Gille est d'humeur bouffonne....
Je trouve le drôle amusant....
Mais.... qu'aperçois-je là ? -Seigneur, c'est un présent
Destiné pour votre personne.
-Quoi ! du miel ?... -Et du vrai Narbonne,
Que l'un des candidats vous supplie humblement
D'accepter. -Comment donc ! c'est un cadeau charmant ;
Il mérite une récompense ;
Je veux en connaître l'auteur.
Ace mot, le Singe s'élance,
S'écriant : C'est moi, monseigneur ;
C'est Gille, votre serviteur ! -
Mais quel échec pour Gille et son compère !
L'Ours, enjetant sur eux un terrible regard,
Dit d'abord à maître Renard :
D'un lâche corrupteur complice mercenaire,
Qui remplis si bien ton devoir,
Je te chasse du ministère.
Toi, son digne affidé, qui crus me décevoir,
Et par l'appât du gain capter ma bienveillance,
Va, fuis à jamais ma présence :
Lorsqu'on fait des cadeaux, c'est pour en recevoir ;
Et tu n'auras point l'intendance.

Le Gouvernement des Animaux, fable 3


ARGUMENT
Moyens d'exécution employés par le Renard et le Singe pour la réussite du projet. Comment le ministre en est instruit. Sa conduite adroite. Court plaidoyer du Renard en faveur du Singe. Leur déconvenue.



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