L'Ours et l'Âne Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Du Renard et du Singe, ainsi désappointés,
La déesse aux cent voix publie au loin l'histoire.
Sur eux mille brocards pleuvent de tous côtés.
Pour les honnêtes gens c'était une victoire :
Ceux-ci reviennent à-la-fois,
Brûlant de signaler leur zèle.
Les voilà rassemblés. L'audience nouvelle
Ne se compose plus que d'animaux de choix ;
Il en faut seulement excepter un profane :
On l'a vu déjà sur les rangs ;
Ai-je besoin de nommer l'Ane ?
Monseigneur cette fois veut rire à ses dépens ;
Mais, pour plus ample comédie,
Il réserve en dernier le chantre d'Arcadie.
L'Ours prête donc l'oreille aux autres concurrents.
Autour de lui la foule abonde ;
Il fait accueil à tous, en reçoit maint placet,
Et, poursuivant toujours sa ronde,
Le ministre a bientôt expédié son monde,
Renvoyant chacun satisfait.
Arrive le tour du Baudet.
J'ai dit qu'au temps passé l'Ane fut diplomate :
Quel diplomate ! Dieu le sait.
Il songe à l'être encor ; ce doux espoir le flatte.
Or il s'avance sans façon,
Entr'ouvre une large mâchoire,
Et fait à l'Ours cette belle oraison :
--- Mon bon seigneur, plus d'un âne, à la foire,
S'appelle Martin ; c'est mon nom.
Peut-être on voudrait faire accroire
Que tous ces Martins-là sont mes cousins ; mais non.
De servir à la cour les miens ont eu la gloire.
Item, de père en fils, nous y sommes connus ;
Il n'y fut bruit longtemps que de monsieur mon père.
Item... je n'en dirai pas plus.
Auprès du Léopard vous m'enverrez, j'espère.
-Y songes-tu, maître Martin ?
Lui répond l'Ours d'un ton badin.
Sans doute, un Ane excelle à braire ;
Mais ce n'est plus là ce qu'il faut.
Sais-tu lire d'abord ? -Moi ! repart le lourdaut ;
Non est-ce donc si nécessaire ?
N'aurai-je pas mon secrétaire ?... -
L'Ours n'y tient déjà plus. Il dit : Trêve aux discours !
Grave-toi bien, Martin, trois choses dans la tête ;
En deux mots les voici : Tout âne naquit bête ;
Il l'est encore, et le sera toujours.
Est-ce ta faute ? non. Du reste, la nature
Te fit, à l'entêtement près,
Une assez bonne créature ;
Ainsi, crois-moi, renonce à tes projets ;
Reprends ton bât ; surtout ne le quitte jamais. -
L'Ane, malgré son ignorance,
Ne laissait pas d'avoir un peu de conscience ;
Il s'examine, en disant à part soi :
L'Ours ne m'a pas flatté, ses paroles sont claires ;
Mais il a raison, que je crois ;
Les affaires d'état ne sont point mes affaires.
Pour de la politique, hélas ! je n'en sais brin :
Où l'aurais-je apprise ? au moulin ?...
Seigneur, reprend-il haut, foin de la politique !
J'avais tort, j'en conviens ; à pareille rubrique
Jamais âne ne comprit rien :
Mais, somme toute enfin, pour être un imbécile,
En suis-je moins bon citoyen ?
Donnez-moi quelque poste où je puisse être utile....
- Fort bien, lui répond l'Ours : tu ne fus qu'égaré ;
Par cet aveu naïf ton tort est réparé.
Tu m'as fait souvenir que jadis, à la chasse,
Ton père, auprès du roi, fit l'office de cor ' ;
Le poste convenait à sa voix de stentor ;
Je t'offre donc la même place.
-Ah ! je l'accepte de grand cœur,
Réplique Aliboron ; elle est fort à ma guise....
Mais je n'en reviens pas : quelle était ma sottise !
Un âne est-il bien fait pour être ambassadeur ?

Le Gouvernement des Animaux, fable 4


ARGUMENT
Nouvelle audience du ministre. Prétention de l'Ane à la place d'ambassadeur. Celle qu'il finit par obtenir.



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