Un Bouc aventurier qui dès le point du jour
S'en allait à la découverte
Parvint toujours grimpant sur la cime déserte
D'un mont dominateur des forêts d'alentour.
Que je suis donc heureux ! se dit-il : du cytise
Qui croît sur ces rochers la saveur est exquise.
Le ciel ici déploie un plus brillant azur ;
Et ce n'est qu'en ces lieux qu'on respire un air pur :
Vive mon humeur vagabonde !
Comme il parlait ainsi, le hasard à ses yeux
Offre, au sein des rochers une grotte profonde.
Bon ! dit l'animal curieux,
Visitons le premier cet antre merveilleux !...
— Le Bouc fait quelques pas... Mais ô prompte disgrâce !
Le farouche habitant du réduit enfoncé
Un Ours outré de son audace
Vient à lui, l'œil hagard et le poil hérissé.
— Malheureux, qui t'amène en cette grotte obscure ?
Un Bouc impunément visite-t—il un Ours ?
Je suis à jeun depuis deux jours
Tu vas me servir de pâture.
Ah ! seigneur, montrez plus de générosité.
Ma visite, en effet, est peut-être incivile ;
Mais j'ai sur les talons un lion irrité',
Et contre sa fureur je cherchais un asile.
Un lion te poursuit ! dit l'Ours épouvanté;
Eh ! mon ami, de quel côté
Vient-il ? — de celui-ci... — Le reste est inutile
Adieu. — Défendez moi, devenez mon appui !
— Impossible, ne t'en déplaise :
J'ai pris médecine aujourd'hui
Et je suis trop mal à mon aise
Pour me mesurer avec lui.
Il dit, et court encor. Une ruse innocente
Sauva le pauvre Bouc. Il s'en souvint longtemps.
Ah ! disait-il par fois, dans le cœur des méchants
J'ai vu qu'il est aisé de jeter l'épouvante.

Livre II, Fable 16




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