Le Bouc et le Chien Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

« Ami, quelle est ton humeur singulière ?
Toujours rêveur et solitaire,
Dans ton étable comme au bois,
Tu manges, dors, tu te bats quelquefois,
Mais tu ne sers jamais personne,
Et ta compagne à peine obtient quelques regards.
Tu reçois bien ce qu'on te donne,
Mais ne rends rien, pas même des égards. »
Ainsi disait le chien au bouc. L'autre de rire :
« Pour moi-même je vis et je sais me suffire.
A quoi bon perdrais-je mon temps
A faire des ingrats ? êtres indépendants,
Nous autres boucs allons la tête haute et fière.
Pour toi, mon pauvre ami, tu sers la vie entière ;
Ta belle générosité
Ne te laisse jamais faire ta volonté. »
Sans écouter le bouc le chien resta fidèle.
Monsieur le bouc ne changea pas,
Bientôt vieillit, adieu sa belle !
Chez le boucher il trouve son trépas.
Le chien toujours reste au ménage,
Bien nourri, choyé, caressé ;
Les soins pour lui croissent avec son âge ;
Les jeunes chiens, le chat même empressé,
Jouaient à ses côtés. - Ah ! tel est l'avantage
De s'être constamment dévoué pour autrui.
De l'égoïsme froid le calcul est peu sage ;
En son malheur il n'est aucun espoir pour lui.

Livre I, Fable 15




Commentaires