Le Singe, le Renard et le Furet Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Au rang des candidats figurait maître Gille,
Qui postulait la place d'intendant.
Ce Singe, aussi retors qu'agile,
Fut autrefois boufson chez un traitant.
De toutes mains il savait prendre,
Et pour un sac de noix il se serait fait pendre.
C'est le cas de servir un plat de son métier :
D'abord, Gille chez l'Ours cherche à s'initier :
Mais Gille sent bien que la place
Ne peut être le prix d'un saut, d'une grimace.
Un ministre d'ailleurs ne rit pas tous les jours.
Que faire donc ? -Parbleu ! dit-il, la belle affaire !
Eh ! n'ai-je pas mon moyen ordinaire ?
Le succès en est sûr. Vite, ayons-y recours ; -
Et le drôle se persuade
Qu'il doit graisser la patte à monseigneur de l'Ours.
Est-ce tout ? non : de peur de quelque rebuffade,
Il veut encor que son présent
Lui soit remis par un tiers complaisant.
Ce tiers est un Renard, tenant au ministère,
Que l'Ours a souvent consulté,
Mais avec défiance et par nécessité.
Gille, qui se sent fort de l'appui du compère,
D'après son plan bien arrêté,
Chez un fermier voisin se glisse avec mystère,
Visitant tour-à-tour magasin, poulailler ;
Il y trouve à souhait double présent à faire,
L'un à l'Ours, l'autre au conseiller.
Mon escroc, muni de la sorte,
Vers le Renard s'en revient à grands pas,
Disant : Vois ce poulet ; fais-en ton mardi-gras ;
Pour toi tout exprès je l'apporte.
Vois cet autre régal ; c'est un vase de miel ;
Son excellence en est, dit-on, friande :
Un tel cadeau devient essentiel
Pour faire valoir ma demande ;
Toi-même à monseigneur l'offriras de ma part.
– Volontiers, répond le Renard,
En flairant le poulet qu'il trouve gras à lard ;
Je te rendrai ce bon office ;
Mais une fois placé, dans le tour du bâton
Ne vas pas m'oublier ? -Oh ! non :
Réplique le double fripon ;
Je te promets moitié du bénéfice.
Notez que près de là rôdait certain Furet,
Honnête agent de la police,
Qui, de nos deux vauriens suspectant la malice,
Sans être vu par eux, avait l'oreille au guet.
Leur accord étant ainsi fait,
Le Renard dit : Avant l'heure de l'audience,
Monseigneur vient me voir demain :
A demain donc ; arrive du matin,
Nous agirons d'intelligence.-
Aussitôt le Renard, en connaisseur manceau,
Se saisit du poulet, et n'en fait qu'un morceau,
Tant le régal se trouve au goût du sire.
De son côté le Singe se retire ;
Mais, par le temps passéjugeant du temps présent,
Il se disait, chemin faisant :
Mafoi ! vive le savoir-faire !
N'ayez que du talent, vous n'arrivez à rien.
Pour réussir en toute affaire,
Que faut-il ? des cadeaux : il n'est que ce moyen.

Le Gouvernement des Animaux, fable 2


ARGUMENT
Le Singe inscrit sur la liste des postulants. Son intelligence avec le Renard. Moyen de séduction qu'il imagine pour gagner la confiance du ministre.


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