Le Singe et le Renard Valéry Derbigny (1780 - 1862)

À l'instar des humains, comme eux préoccupés
Des graves intérêts de la chose publique,
Les animaux, un jour, du moins les plus huppés,
Electeurs reconnus dans l'ordre politique,
Tous mandataires de la loi,
Ayant le cens ou payant la patente,
Se trouvaient convoqués pour affaire importante :
Il s'agissait d'élire un roi.
Le Singe qui mourait d'envie
De l'être, et pour cela d'éclipser le voisin,
Quel qu'il fût, fouille au magasin
Des gentillesses de sa vie ;
Va jusqu'au fond du sac, y prend ses meilleurs sauts,
Ses bonds les plus hardis, ses plus belles grimaces,
Enfin tout ce qui doit émerveiller les masses ;
Se pose en concurrent prêt pour tous les assauts,
S'avance au premier plan, s'y place en évidence,
Fait sa première confidence
A l'âne renommé pour sa voix de stentor ;
Lui parle du dessein qu'il aurait de distraire
Messieurs les assistants, qui ne sont point encor
A leur complet ; que, s'il consent à braire,
Il l'accompagnera du cor ;
Va, vient, traite avec tous de confrère à confrère,
Fait le gros dos avec le dromadaire,
Avec le chat l'ait patte de velours,
Propose un menuet à l'ours ;
Et, suivant le besoin, pliant son caractère,
S'incline en s'approchant du seigneur léopard,
Encense le lion, courtise la panthère,
Regarde avec dédain les lazzis du Renard,
Surtout tient à singer les manières de l'homme,
Fait le brave et le beau, presque le gentilhomme,
El, tel qu'un autre Godefroi,
Qui revêt son armure et cherche un palefroi,
Se présente au cheval, l'enfourche el fait voir comme
Il sait le manier en roi.

La foule d'admirer sa rare intelligence ;
Le Renard en son coin d'apprêter sa vengeance.
Et le singe, d'user de la faveur du sort,
Et de continuer de plus fort en plus fort.
Enfin, pour dernière prouesse,
Il s'arme d'un fusil, le charge avec adresse,
Ouvre le bassinet, amorce, et, l'ajustant
A son épaule avec assez de grâce,
Regarde en l'air, vise un oiseau qui passe,
Le suit de l'œil, l'abat en un instant,
Et dit au chien : « Nous partons pour la chasse. >
Ce dernier trait lui gagne tous les cœurs.
Il mêle à tous ses jeux gambades sans pareilles,
Et, de merveilles en merveilles,
Ne craignant désormais ni rivaux ni vainqueurs,
Flatte, éblouit, étonne et ravit l'assemblée.
Bref, il est élu tout d'emblée ;
On le proclame roi. — Le. Renard, irrité
D'un aussi grand honneur et si peu mérité,
En madré courtisan de la nouvelle idole,
S'avance avec respect, se prosterne humblement,
Et, faisant précéder son rusé compliment
De trois profonds saluts, prend ainsi la parole :

« Sire, tout vous présage un règne glorieux.
Les grands et les héros du peuple qui m'écoute,
Nos seigneurs les lions, ne mettent point en doute
Que le choix est tombé sur le plus valeureux ;
Us aiment les combats, la gloire est tout pour eux.
Mais, vous le savez, Sire, un règne, à sa naissance
A surtout besoin de puissance.
La puissance des rois, c'est l'or.
Je viens mettre à vos pieds un immense trésor.
Vous voyez cette cache, à dessein recouverte,
C'est là qu'il gît. Tout trésor est au roi.
Trop heureuse pour moi, Sire, une découverte,
Gage trop faible encore et d'amour et de foi. »
Il dit, s'incline, et se retire
Et sous cape s'apprête à rire.

A ce mot de trésor, ce roi malavisé,
Si lestement improvisé,
Incontinent quitte son royal siège,
S'élance vers la fosse et tombe dans un piège.
L'épreuve suffisait. Le Renard vient à lui
L'aider à déposer le poids du diadème.

Pour prétendre à l'honneur de gouverner autrui,
Encor faut-il savoir se gouverner soi-même.

Livre III, Fable 8




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