De par le monarque des bois,
On apprend que son excellence
Avait à conférer trois éminents emplois :
D'un général d'armée il fallait faire choix ;
Nommer un intendant pour régir la finance ;
Députer enfin sans retard
Auprès du sultan Léopard.
Grand concours d'animaux ! la salle d'audience
Suffit à peine aux candidats : *
C'est l'ordinaire en pareil cas.
La présomption, l'ignorance,
Suivant un autre usage établi dès longtemps,
Avaient pris aussi les devants.
Faut-il donc s'écrier merveilles,
Si l'animal portant longues oreilles
Se trouve sur les premiers rangs ?
Un bouc, à la tête légère,
Mais des mieux encornés, suit maître aliboron.
On le prendrait pour un Caton
A son air tout pensif, quoiqu'il ne pense guères,
À la barbe surtout qui lui pend au menton.
Plus loin paraît certaine larronesse,
La pie, au manteau blanc et noir,
Qui, tout en babillant, thésaurise sans cesse :
On devine l'emploi qu'elle désire avoir.
Les autres, les peindrai-je ? ils sont en trop grand nombre.
Pourtant je remarque à l'écart
Un Tigre, à l'air farouche et sombre,
Jetant sur ses rivaux un sinistre regard.
Enfin l'audience est ouverte.
L'Ours toise d'un coup d'œil chacun des candidats.
La salle lui semble déserte,
En y cherchant en vain des gens qu'il ne voit pas.
Un tel éloignement le fâche ;
Mais, dit-il à part soi, j'en sens trop la raison ;
L'aigle est hors de sa place à côté de l'oison.
L'un sollicite sans relâche,
L'autre attend qu'on l'appelle.... appelons les talents ;
D'un ministre éclairé c'est la plus belle tâche.--
Il mande en secret les absents,
Et, donnant pour prétexte une affaire d'urgence,
Jusqu'au surlendemain il remet l'audience.
La foule vient de s'écouler.
Le Tigre est resté seul. Il demande à parler.
-Excellence, dit-il dans son âpre langage,
J'ai vu tous mes rivaux ; qu'ils viennent ; au combat
Je les défie ; aucun ne m'égale en courage :
Ainsi je dois compter sur le généralat.
Je connais, répond l'Ours, ta force, ton audace ;
Mais, pour occuper cette place,
Il faut servir ensemble et le prince et l'état :
Or, une fois chargé de ce grand ministère,
Dis-moi ce que tu voudrais faire ?
-Quoi ! vous le demandez ?... Suivi des miens, d'abord
Je vais semant partout le carnage et la mort ;
Des états du Lion j'élargis la frontière ;
Bref, soumis au droit du plus fort,
Chaque peuple voisin devient son tributaire....—
L'Ours, l'interrompant à ces mots,
Repart : C'en est assez ; fuis, animal sauvage !
La valeur n'est chez toi que l'instinct de la rage.
Tu parles en brigand, et non pas en héros.
Partisan du courage, un Lion magnanime
Déteste la férocité ;
Le seul courage enfin digne de son estime
Est celui qui s'accorde avec l'humanité.
ARGUMENT
Places vacantes. Revue des candidats. Audience du Ministre.
Grade sollicité par le Tigre. Son discours. Réponse du Ministre.