Le Gouvernail et les Rames Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

L'oisiveté, dit-on, des vices est la mère :
D'accord ; mais ne confondons pas
Le travail de la tête avec celui du bras :
C'est au bras seul d'agir, et la tête au contraire
Pour méditer l'ouvrage a besoin du repos ;
Nous la croyons souvent oisive,
Lorsque sa prévoyance active
Nous garantit des plus grands maux.
Les Rames d'une galère
Insultaient au Gouvernail.
Elles disaient en colère :
Nous faisons tout le travail,
Et quel est notre salaire ?
Monsieur nous regarde faire.
Gouvernail paresseux ! inutile instrument !
Réponds du moins : voyez s'il bouge seulement. -
Comme elles tenaient ce langage,
Tout-à-coup s'élève un orage.
Un vent des plus impétueux
Tourmente la galère, et, soufflant avec rage,
La livre à la merci des flots tumultueux.
Voilà nos rames fort en peine ;
On les voit tour-à-tour s'élevant, s'abaissant,
Pour fendre la liquide plaine :
Le danger va toujours croissant ;
En vains efforts elles s'épuisent ;
Enfin contre un écueil voilà qu'elles se brisent.
Le Gouvernail alors agissant à propos,
Maîtrise la vague indocile,
Et, par une manœuvre habile,
Sauve le bâtiment de l'abyme des flots.

Je compare à cette galère
Le vaisseau de l'état, qu'un seul doit commander.
Obéir au pilote, et le bien seconder,
C'est ce qu'on a de mieux à faire.

Livre IX, fable 15


Note de l'auteur :

Le sujet de cette fable a été traité par Desbillons, page 252, édition Barbou, 1778. C'est la troisième, de toutes celles de mon recueil, dont ce fabuliste latin m'a fourni l'idée ; mais lui-même l'avait empruntée d'un autre fabuliste italien, Léon Alberti, écrivain du seizième siècle. Au risque d'offrir un double objet de comparaison qui tourne à mon désavantage, je vais mettre sous les yeux du lecteur les deux fables ci-dessus indiquées, afin qu'il puisse juger les trois manières.

Voici la fable d'Alberti [en italien] :

I Remi ed il Timone

Una moltitudine di Rami era in gran contrasto col Timone, e lo dispreggiavano per esser solo , e piccolo ; ma il Timone, volendo far conoscere chi egli fosse, dirizzo talmente la galera in uno schoglio, che tutti i Remi, che vi erano da un lato, si ruppero, et si fracassarono. I sudditi non debbono mai separarsi dal lor principe. »


Je passe à la fable de Desbillons [en latin] :

Remi et Clavus

Remi increpare quondam Clavum cœperant :
Hanc dictitabant ejus esse inertiam,
Quòd abstineret verberandis fluctibus,
Staretque semper fixus. Dum sic obstrepunt
Tumultuantes , appropinquavit Ratis
Ad saxa quædam occulta : damnum sentiunt
Remi ; unus et mox alter, et mox tertius
Illiditur. Reflexus at motu levi
Clavus, ratem omni liberat periculo ;
Et, discite , inquit , quam non sint inutiles
Rem providentes qui gubernant publicam. »


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