Un pauvre campagnard doit, et n'a point d'argent ;
De vaillant il n'a qu'une Truie.
Ressource unique ! Hélas ! un créancier urgent
Exige qu'il la sacrifie.
La Truie est à l'encan. Dans son regret amer, i
Le débiteur au moins veut la vendre bien cher.
« Voyez, mes bons messieurs, cette large encolure !
Comme la laie est bien en chair !
Regardez cette croupe, admirez cette hure
Et ces tétines ! ― Bon ! ce n'est rien que cela,
Disait un acheteur : la Truie est- elle pleine ?
Est-elle féconde ? Voilà
Le grand point. - Comment ? pleine et féconde ? ah ! c'est là
Son fort, je vous assure. Oui, dans une quinzaine,
Le carnaval arrive : elle vous mettra bas
Vingt marcassins au mardi gras ;
Et je la garantis à même
D'en faire encore autant, vienne la mi-carême !
Une fois en gésine, elle ne finit pas.
Oh ! oh ! dit le chaland, c'est se moquer du monde ! »
Mais dans le même sens le créancier abonde,
Et dit à l'acheteur : « Ne soyez pas surpris
Qu'on vous la mette à si haut prix :
Si vous saviez comme elle est bonne,
Cette Truie ! outre les pourceaux
Que dans le Carême elle donne,
peut faire encore à Pâques des chevreaux. »

L'intérêt fait mentir : on promet l'impossible ;
On pérore ; on déploie une emphase risible ;
On veut faire valoir des raisons de bibus....
Et voilà comme on fait de si beaux prospectus !

Livre I, fable 4




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