Sire Loup, de l'hymen prêt à serrer les nœuds
Avec une Louve adorée,
Fit publier dans la contrée
Que de ce mariage heureux
La fête serait célébrée,
Au fond d'une forêt sacrée,
Avec tout l'appareil des danses et des jeux,
Couronnés d'un banquet magnifique et pompeux,
Où l'on ferait ample curée.
On voit accourir, au jour pris,
Tous les animaux du pays,
De loin conviés à la ronde ;
Et ce dont chacun est surpris,
C'est que le Loup, dans tout ce monde,
Ait aussi mandé la brebis.
Une pompe si solennelle
Dans l'invitation tirait un prix nouveau
De la réunion touchante et fraternelle
Dont elle offrirait le tableau.
La brebis, justement craintive,
Doit se douter pourtant que messer Lycaon
Desire beaucoup moins de l'avoir pour convive
Que d'avoir un plat de mouton ;
Mais elle n'ose dire non :
Un refus aux puissants paraît une avanie.
Que fait-elle ? Elle arrive à la cérémonie,
Ayant César pour compagnon :
César, chien de berger, n'est pas du tout mignon.
Le Loup voit contre lui qu'on se précautionne ;
D'un regard de travers il toise le mâtin,
Et, cachant son humeur félonne,
Il dit à la brebis : « Ma bonne !
« C'est vous quej'ai priée au superbe festin
" Que l'amitié prépare et que l'hymen ordonne ;
Mais vous devez savoir qu'à ces solennités
On n'admet que les gens nommément invités.
Au portier, en entrant, chacun montre sa carte.
De la règle, aujourd'hui, voulez-vous qu'on s'écarte ?
Et pour qui ? pour un chien hargneux,
Sujet d'un mauvais caractère.
Quelle part prend-il à mes nœuds ?
A ma fête que vient-il faire ?
Le chien, tranquille et dédaigneux,
Eut la prudence de se taire.
La brebis reprit : « Monseigneur
En me priant m'a fait sans doute trop d'honneur.
Sitôt que j'ai reçu sa lettre circulaire,
J'ai résolu de lui complaire. Aj 19kral, na viuft
Il me fallait un chaperon.
Depuis que j'ai perdu mon belier Moufleron,
Je ne marche pas seule, et suis bien délicate.
6César, que vous voyez, mon hôte et mon patron,
A daigné me donner la patte.
C'est le meilleur de mes amis,
C'est le tuteur de mes petits.
Sans lui, votre banquet n'a plus rien qui me flatte.
Si sa présence ici peut vous importuner,
Je suis votre servante, et vais m'en retourner
Sans dîner... »
La brebis, à ces mots, tire sa révérence.
Ô vous, jeunes Beautés, objets charmants et doux !
Ce récit, en mainte occurrence,
Doit être une leçon pour vous.
Apprenez-y du moins ce que vaut l'apparence
De la politesse des loups.
Elle sert d'enveloppe à leurs desseins féroces. Pos
Dites-vous donc sans cesse, et disons-nous bien tous :
« Si le Loup nous prie à ses noces,
« Emmenons César avec nous. »