Le Loup et le Bélier Éliphas Lévi (1810 - 1875)

A travers l'épaisse cloison
D'un parc où des brebis à la riche toison
Broutaient l'herbe fraîche et fleurie,
Certain loup, qui rôdait à travers la prairie,
S'étant assuré que le chien
Sommeillait et n'entendrait rien,
S'adresse à la troupe bêlante
Et lui dit : - Ne me craignez pas,
Vous que l'homme réserve à ses hideux repas,
Vous qu'il flétrit déjà de sa marque sanglante,
Vous vous croyez en sûreté,
Quand du boucher déjà le couteau vous menace !
Croyez-moi, le destin favorise l'audace.
Renversez la cloison de ce parc détesté ;
Ou ce soir au bercail s'il faut qu'on vous ramène,
Fuyez, dispersez-vous dans les bois, dans la plaine :
Sachez ravir la liberté !
- Oui, dit un vieux bélier, ta harangue est sublime :
La liberté me plaît, c'est un mot que j'estime.
Mais loin des chiens et du berger,
Crois-tu que nous vivrons sans peine et sans danger ?
Libres, nous trouverons toujours une prairie,
De clairs ruisseaux, des cieux vermeils,
Mais qui nous défendra, sire loup, je te prie
Des attentats de tes pareils ?
De l'homme en subissant l'empire,
Des maux nous évitons le pire.
Va, compère le loup, nous te connaissons bien.
Rentre dans tes forêts, ou j'éveille le chien.

Cet apologue a plus d'à-propos qu'on ne pense,
Et je vous le dis entre nous :
Moutons, pauvres moutons, défiez-vous des loups
Qui vous prêchent l'indépendance !

Livre III, fable 24




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