Les Loups et le Troupeau Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un troupeau s'était égaré
Dans un défilé de montagnes ;
Les loups chassés loin des campagnes
Rôdaient dans ce lieu retiré.
Ils cernent le troupeau sans guide ;
Aussitôt du peuple timide
Tous les citoyens entassés,
Et dans un seul faisceau l'un par l'autre pressés,
Se mirent à bêler d'un ton si lamentable,
Que le bruit des gémissements
Couvrit celui des hurlements.
Le bruit fait peur a tout coupable.
Dans les échos de tant de voix,
Les loups crurent des chiens distinguer les abois.
Surpris d'abord ils s'arrêtèrent,
Puis les cris grandissant toujours,
Craignant qu'on ne vînt au secours,
L'un après l'autre ils désertèrent.
Ces moutons étaient Polonais,
Si j'en crois la récente histoire.
Tout un peuple à genoux pleure au nom de sa gloire,
Au pied de ses autels qu'il n'oubliera jamais.

Or, on n'égorge pas un peuple entier qui prie
Pour réclamer une patrie,
Fût-on Russe ou Kalmouck, fût-on lâche ou pervers ;
Le bruit de cette boucherie
Ebranlerait tout l'univers !

Livre V, fable 19


Symbole des fables 18 et 19 :

Obéir à la loi, aller au-devant du devoir, mais ne souffrir jamais la servitude. La mort des martyrs a été sublime parce qu’on voulait violenter leur conscience. On ne renonce pas à ses croyances, à ses affections, à ses habitudes nationales, parce qu’un maître impérieux l’exige. On peut se taire devant l’oppression, on peut renoncer à la résistance armée, mais alors on prie et l’on meurt en embrassant l’autel de la patrie.


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