Les deux Paradoxes Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un bramine expliquait le système du monde
Et disait : - La machine ronde
Est sur le dos d'un éléphant.
Sur un monde plus grand cet éléphant se pose,
Et l'autre monde, je suppose,
Sur un autre monstre plus grand.
Multipliez sans fin toujours la même chose ;
Quand vous serez au bout, si vous êtes lassés,
Taisez-vous ou recommencez.
Un sophiste français se prit alors à rire,
Puis gravement se mit à dire :
Ô bramine, les végétaux
Sont mangés par les animaux ;
Aux petits les grands font la guerre ;
L'homme est le maître de la terre ;
Les rois des hommes sont les dieux ;
Les dieux ont Uranus pour père,
Et le destin mystérieux
D'Uranus gouverne la sphère ;
Le destin suit la loi du feu ;
Le feu reconnaît Dieu pour maître ;
Et Dieu règne suivant les lois
D'un autre Dieu plus grand peut-être.
Recommencez ceci plusieurs millions de fois.
C'est absurde, il est vrai, mais la thèse contraire
N'est qu'un plus absurde mystère ;
Et d'ailleurs tout cela finit
Au point où la raison de l'infini s'indigne ;
Au point où doit pour nous s'arrêter une ligne
Qui monterait toujours à travers le zénith.

Que conclure de cette histoire ?
C'est que notre bon sens se perd dans l'inconnu,
Et qu'un raisonnement est toujours saugrenu
Lorsqu'il faut s'incliner et croire.

Ceci nous montre encor pourquoi chez nos aïeux
Les cultes furent variables,
Et comment l'homme fait des diables,
En s'élevant de dieux en dieux.
On peuple les royaumes sombres
Avec le rebut des élus ;
Et les démons ce sont les ombres
Des dieux auxquels on ne croit plus.

Livre V, fable 20


Symbole :

Ne jamais raisonner sur l’essence de Dieu. La foi en Dieu doit rendre les hommes meilleurs et non égarer leur raison. Comment définir l’infini ? Comment expliquer ce qu’on ne saurait comprendre ? Plus on raisonne, moins on adore. Raisonnons tant qu’il nous plaira sur le besoin d’adorer, mais lorsque nous prononçons le nom de l’indéfinissable, que tout en nous garde un suprême silence ! Prosternons-nous et adorons ! Ce n’est ni l’éléphant des brahmes, ni le vieillard à trois têtes de gnostiques, ni rien de ce que l’idolâtrie des nations a consacré. Ce n’est rien que nous puissions voir, que nous puissions toucher, que nous puissions entendre, que nous puissions goûter, que nous puissions dire. C’est ce que nous devons adorer dans la paix profonde de l’esprit et l’enthousiasme du cœur.


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