Le Docteur Faust et l'Ivrogne Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Abandonné par le démon,
Ne croyant plus à Marguerite,
Sans repentir pour le pardon,
N'ayant plus même le mérite
Du crime gourmandé tout bas par le remords,
Le sombre docteur Faust errait parmi les morts.
Il était dans un cimetière,
Et là, dans le même moment,
Arrive un buveur allemand,
Ivre de tabac et de bière :
- Allons, il faut finir, disait le vieux savant :
On se doit à la mort lorsqu'on n'est plus vivant.
- Quelle bêtise, dit l'ivrogne,
On ne peut pas mourir deux fois.
- Cloches dont j'entendais la voix,
Reprend Faust, maintenant votre bruit monotone
Ne saurait plus rien dire à mon cerveau glacé ;
Le printemps ne rit pas dans les feuilles d'automne,
Et Dieu ne marche plus où le doute a passé.
- Allons, de mieux en mieux, voilà qu'il déraisonne,
Dit l'autre : il croit, quand il est las,
Que le bon Dieu ne marche pas.
- O morts qui ricanez dans cette tombe ouverte,
Et qui creusez la nuit de vos yeux sans regard,
D'un silence éternel votre bouche est couverte ;
Vos crânes sont égaux, pastoureaux ou Césars !
Vos rangs sont pressés, mais qu'importe ?
Faites place, mon âme est morte.
Pourquoi traîner plus loin ce corps qui ne vit plus ?...
L'ivrogne alors s'avance et dit : - Mon camarade,
Plus que moi vous êtes malade :
Je ne vous quitte pas, appuyez-vous sur moi.
Il se faut entr'aider, c'est la commune loi.
Chez moi c'est de l'ivresse, et chez vous du délire,
C'est à moi de vous reconduire.

Le riboteur avait raison.
Il n'était pas sorti de la nature humaine,
Et ne doutait de rien, bien qu'il eût quelque peine
A reconnaître sa maison.

Si dans la coupe d'or que nous tend la science
Et que remplit l'esprit divin,
On ne boit que tristesse et que noire démence,
Mieux vaudrait mille fois s'enivrer de bon vin !

Livre VI, fable 2




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