Le Nabab et le Fakir Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Le dos courbé par une chaîne,
Et de haillons couvert à peine,
Un fakir souriait en extase absorbé.
Cependant un nabab couvert d'ambre et de soie
Sur son palanquin d'or en dôme recourbé
Contemplait du croyant la fanatique joie.
- Mon père, lui dit-il, il est bon de prier,
Mais laisse-moi te délier
De cette chaîne qui t'accable :
Dieu veut-il qu'on soit misérable ?
- Et qui t'a dit que je le sois ?
Répond l'étrange solitaire.
Je suis bienheureux, car je crois
Gagner tous les plaisirs en souffrant sur la terre.
Au monde j'ai fermé mon cœur ;
Je me suis fatigué de l'allégresse humaine ;
J'ai trouvé mon dernier bonheur
Dans la douleur ;
Que me restera-t-il si tu m'ôtes ma chaîne ?

Sachons que dans sa liberté
L'homme doit être respecté,
Même quand il la voue au culte des idoles.
On dispute sur les symboles,
Comme on a toujours disputé.
Nous avons écouté Voltaire
Qu'on n'a pas forcé à se taire ;
Mais ce philosophe moqueur
Peut-il faire que la sœur grise,
Humble, charitable et soumise,
Ne soit heureuse dans son cœur ?

Livre V, fable 21




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