Le Proconsul et le Martyr Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un martyr expirait au milieu des tourments
Et disait aux bourreaux : - Jamais la violence
Ne peut forcer la conscience.
Je meurs et j'ai pitié de vos emportements.
- Soit, dit le proconsul, jamais la violence
Ne peut forcer la conscience ;
Et pourquoi donc toi-même as-tu violenté
Le grand culte de Rome et de l'antiquité ?
Tu crois en insultant nos prêtres
Et les autels de tes ancêtres,
Triompher dans l'éternité ?
Je satisfais à ton envie
En te faisant mourir ; mais toi, fou furieux,
Tu viens de renverser mes dieux
Pour qui j'aurais donné ma vie !
Entre nous, tu le vois, c'est une guerre à mort ;
Si l'intolérance chrétienne
Demain te rendait le plus fort,
Je serais à ta place et toi-même à la mienne.

Le proconsul avait raison :
Il se faut supporter l'un l'autre,
Ne brûlons pas une maison,
Si nous voulons grader la nôtre.

D'un temple autrefois respecté
Si nous blâmons l'architecture,
Laissons subsister la masure
Et bâtissons mieux à côté.

Livre V, fable 22


Symbole des fables 21 et 22 :

Respecter la conscience des autres et ne leur jamais imposer même la vérité. Ne pas briser de force le joug des esclaves qui aiment leur joug. Avoir toujours du dévouement, jamais trop de zèle. Les fous jouissent de leur folie, ce serait trop cruel de la leur ôter sans leur rendre la raison. Il faut donc avoir patience, il faut laisser au fakir sa chaîne et au vieux monde ses idoles en attendant que tout cela tombe de soi-même. Ne perdons pas notre temps en vains discours pour décrier les ténèbres ; faisons briller la lumière, mais que ce ne soit pas la lumière d’une torche qui incendie. Ne renversons plus ni la statue de Jupiter ni celle de saint Nicolas, quand même une population imbécile adorerait saint Nicolas. Philosophes, respectez les reliques, si vous ne voulez pas qu’on brûle vos livres. La lumière luit pour tout le monde, mais tout le monde a le droit d’ouvrir et de fermer les yeux comme il lui plaît.


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