Maître Renard et maître Loup,
Chasseurs suivant la même voie,
Ensemble avaient fait un beau coup,
Ils avaient pris un cerf ; un cerf ! Dieu sait la joie !
Ils sont à partager leur proie,
Quand survient le Lion, bien plus rude veneur.
« Reconnaissez, dit-il, votre maître et seigneur.
Je suis le roi. Sachez que j'ai droit de prétendre,
Par privilège et par honneur,
Le tiers de tout gibier qu'à la chasse on peut prendre.
Un tiers à nous ! c'est le refrain
Des édits d'un grand souverain.
Messieurs, vous devez me comprendre !
Le cerf n'est qu'en deux parts ; il faut le mettre en trois,
Afin que j'exerce mes droits :
Car tel est mon plaisir. » Le Lion s'étudie
A motiver sa loi, pour la faire passer ;
Mais le Loup n'en tient compte, et risque, à l'étourdie,
Une négative hardie.
Le Lion de ce style est prompt à s'offenser.
La parole imprudente à peine est proférée,
Que le Lion applique au Loup sur le museau
Le bout de sa patte sacrée.
Une griffade accélérée
Du chef sur le chignon lui fait tomber la peau,
Et l'écorche si bien, qu'en somme
Il n'est point d'Éminence à Rome
Qui porte un plus rouge chapeau.
Si le Loup n'est pas mort, il ne s'en faut de guère.
Ayant ainsi traité le premier opinant,
Du côté du Renard le Lion se tournant,
Lui demande d'un ton sévère :
« Et toi, du Loup rusé compère,
Quel est ton avis maintenant ? -
A Votre Majesté, si le tiers la contente
Le tiers revient, dit le Renard ;
C'est même une trop faible part :
Tout le cerf vous est dû, pour le peu qu'il vous tente :
D'un prince comme vous telle est, à cet égard,
La prérogative constante :
Sire, elle est sans réserve et sans contradicteur.
Comment, diable, ô Renard ! tu passes mon attente ;
Mais tu parles comme un docteur.
Dans le droit ta science éclate :
Où l'as-tu donc étudié ?
Dans la barrette d'écarlate
Que vient de recevoir mon pauvre associé.
Sur cette sanglante coiffure
Je lis distinctement ces mots,
(Qu'on peut, en pareille aventure,
Citer, je crois, fort à propos) :
Aux puissants, avec modestie
Parlez, sans les pousser à bout ;
Et sachez perdre une partie,
Plutôt que de risquer le tout. »