Le Loup et le Renard Valéry Derbigny (1780 - 1862)

Un loup, grand pourvoyeur de son garde-manger,
Voyait pendre à son croc les agneaux par douzaine.

Un renard, son voisin, qui flairait cette aubaine,
Eût bien voulu la partager.
Mais il fallait s'y prendre en ravisseur habile,
Car le loup, qui craignait quelque tour du voisin,
Ne bougeait pas du domicile.
Quoique le cas fût dissicile,
Pour en venir à son dessein,
Le madré fouille en sa cervelle,
Croit y trouver une ruse nouvelle ;
Et, prenant la démarche et l'air d'un médecin,
Devers le loup, couché dans sa tanière,
S'avance gravement, se présente en manière
De visite, et lui dit : « Très-honoré cousin,
L'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche
Fait que je vous cherche aujourd'hui.
Un loup qui ne sort plus, et qui même se couche
Ainsi que je vous vois, a plus que de l'ennui ;
Ma crainte, il est donc vrai, n'était que trop fondée.
Ne dormant plus de cette idée
Que vous étiez gisant, sur le point de mourir,
N'ayant cœur qu'à vous secourir,
Je suis venu vers vous ; le ciel me soit en aide !
Je connaîtrai vos maux, j'en saurai le remède ;
Si les quelques talents dont ce ciel m'a pourvu
Vous peuvent être bons, employez ma recette.
Durant ces trois grands jours que je ne vous ai vu,
J'ai relu mes auteurs, nettoyé ma lancette ;
Qu'il me serait doux de sauver
Des jours qu'au prix des miens je voudrais conserver ! »

« Très excellent ami, le ciel, qui vous envoie
Sinon pour me guérir, du moins pour nous revoir,
Me réservait cette dernière joie ;
Dernière je la dis, car je n'ai plus d'espoir ;
Aussi, prêt à quitter les terrestres misères,
Les médecins du corps me sont peu nécessaires.
Du banquet de la vie exilé pour jamais,
Ce n'est qu'avec les dieux que je dois désormais
Songer à régler mes affaires.
En ceci, cher parent, vous me pouvez aider.
Un temple est près d'ici, qui vous sera propice.
Auprès des dieux, pour moi, courez intercéder.
Implorez leur bonté plutôt que leur justice ;
Peut-être obtiendrez-vous quelque peu de répit. »

Le renard n'attend pas que son rusé malade
Achève sa jérémiade ;
Et, contenant à peine son dépit
De voir tourner contre lui-même
La fourbe de son stratagème,
Il s'en va droit chez le berger
Des brebis que le loup se plaît à saccager,
Flatte son désir de vengeance,
L'engage à faire diligence,
Et lui dit que, s'il veut, il lui vendra la peau
Du ravageur de son troupeau ;
Qu'il connaît sa retraite en la forêt voisine.

Le berger prend un pieu, suit son guide et chemine
Avec lui la moitié du jour ;
Puis, après maint et maint détour,
Arrive au loup, le surprend dans son gîte
Et vous le dépêche au plus vile.
Le glouton mort, maître renard
Du défunt se fait, sans retard,
L'exécuteur testamentaire,
Et déjà dresse l'inventaire.
Agneaux, brebis et moutons gras,
Il s'en trouvait pour plus d'une séance
Et, partant, pour plus d'un repas,
Mais courte fut sa jouissance ;
Car du berger survient le chien
Oui vous l'étrangle bel et bien.

Loup et renard, chacun pour sa conduite,
Dans ce récit à double effet,
Reçoit le prix de son méfait :
Le coupable d'abord, le délateur ensuite.

Livre I, Fable 10




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