Le Paroissien Valéry Derbigny (1780 - 1862)

« Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis. »
Ce propos m'a toujours su plaire.
Je voudrais qu'il fût mien, tant je le trouve exquis.
Ne l'ayant point créé, ne voulant point m'en taire,
Que, du moins, il me soit permis
De l'ajuster à mon affaire.

Un curé faisait un sermon
(C'était, je crois, le jour des Ames),
Bien pensé, bien écrit. Parlant peu du démon
Et peu des éternelles flammes,
Beaucoup de Dieu, beaucoup de sa bonté,
De sa suprême volonté,
Des trésors infinis de sa miséricorde,
Il avait su toucher la corde
Qui fait vibrer les cœurs ; et chacun demeurait
Pour l'écouter, jaloux de ne point perdre un trait,
Tant sa morale avait d'attrait,
Tant sa parole avait d'empire.

Ramener le pécheur, au lieu de le maudire,
Dans son cœur attendri faire entrer le regret,
Forcer le repentir : c'était là son secret.
Tout son auditoire pleurait,
Les femmes, cela va sans dire,
Les hommes même, et même les vieillards ;
Pleurs de couler de toutes parts.
Un seul des assistants restait là, comme un terme,
Et comme insouciant d'écouter et de voir.
Tous les cœurs bondissaient : le sien demeurait ferme ;
C'était à n'y rien concevoir ;
Chacun est surpris de la chose ;
Chacun chuchote, chacun glose ;
Chacun se demande comment
Il pourrait expliquer ce dédain qui les froisse.
On l'interroge ; et lui, tout simplement :

« Je ne suis pas de la paroisse. »

Livre I, Fable 9


Fable imité de Krilov, qui l'avait dirigée contre l'intolérance des coteries littéraires de son époque et de son pays.

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