Chaque homme est ainsi fait : soyez de ses amis,
Il vous proclame un beau génie ;
Tout autre en son estime est rarement admis,
Quels que soient de ses chants le charme et l'harmonie.
Refusant tout éloge au talent étranger.
S'il en sent la grandeur, il croira déroger.
Dussé-je à tels esprits ne point paraître affable,
Contre eux j'ai fait ce conte, à défaut d'une fable.
Dans un temple chrétien, un grand prédicateur,
Exhortant l'auditoire à la charité sainte.
Semblait de Platon > même atteindre la hauteur.
Sa parole limpide, en remplissant l'enceinte,
De sa bouche coulait comme le plus doux miel.
On eût dit que sa voix, dans l'infini lancée,
Sans effort ravissant le cœur et la pensée.
Par une chaîne d'or les unissait au ciel ;
Puis parfois son discours, devenu plus austère,
Frappait la vanité des grandeurs de la terre.
Le sermon est fini. L'auditoire enchanté
Semble en goûter les charmes,
Et jusqu'au haut du ciel, par l'extase emporté,
Reste encore un moment sans essuyer ses larmes.
On sort enfin du temple. « Oh ! l'aimable talent !
Dit l'un ; quelle onction ! quel feu dans son langage !
— Comme sa voix au bien fortement vous engage !
Dit un autre au voisin à s'émouvoir trop lent.
Quoi ! tu n'as point pleuré! Ta dureté nous froisse.
Tu n'y comprends donc rien ? — Si fait, j'ai tout compris.
Si je n'ai pas pleuré, n'en soyez point surpris :
Je ne suis pas de la paroisse ! »
Krilof désigne ici, non le philosophe grec, niais l'archimandrite Platon, mort en 1812, qui s'est rendu fameux chez les Moscovites dans l'éloquence sacrée.