Dans le logis commun par le hasard conduit.
Près d'un de mes amis j'avais passé la nuit ;
Dès l'aube, ouvrant les yeux à peine,
Que vois-je ? Mon ami semblait tout agité !
Pourtant, la veille encor, gais et d'humeur sereine,
Apres avair causé, le soir, en liberté,
Nous avions, sans souci, tous deux clos la paupière,
Et très-paisiblement dormi la nuit entière.
J'écoute : il était tout changé :
Poussant de petits cris, comme un homme en délire,
II trépigne des pieds, il gémit, il soupire.
" Quel malheur t'a donc affligé?
Lui dis-je, ému. Cher camarade.
Serais-tu, par hasard, soudain tombé malade ?
— Eh ! non, ne prends aucun souci ; Je me rase.
— Et c'est là ce qui t'agite ainsi ? »
M'étant levé, devant la glace
Je vois alors mon étourneau
Faire si piteuse grimace.
Qu'on eût dit, à coup sûr, qu'il tremblait pour sa peau.
Du mal voyant la cause : « Eh ! me pris-je à lui dire,
Rien d'étonnant ; toi seul as causé ton martyre !
Vois, mon cher, ton rasoir n'est qu'un mauvais couteau,
Et tu ne peux ainsi qu'écorcher ton visage.
— Je le sais. Me tiens-tu pour si malavisé?
De rasoirs émoussés je fais toujours usage.
Et crains comme le feu tout rasoir aiguisé.
— Sottise ! mon ami, tout vieux rasoir nous blesse ;
Un rasoir repassé doit raser à ravir ;
Mais c'est alors qu'avec adresse
Celui qui l'a sait s'en servir.
Faut-il être plus clair ? Je sais maint personnage,
Qui, sans nous avouer le motif qui l'engage.
Craignant les gens d'esprit et leurs malins propos,
Plus volontiers choisit des sots,
Pour en former son entourage.