J'ai lu naguère en un conteur de l'Inde
Un fabliau qu’en langage du Pinde
Je vais translater de mon mieux :
Ce Brame en sanscrit nous raconte
Qu’en un lieu baigné de l'Oronte,
Croissait un arbre merveilleux,
Un seul fruit, noix énormissime
Pendait a la plus haute cime
On veillait un affreux dragon.
Ce fruit renfermait, disait-on,
En sa coque volumineuse,
Au lieu de pulpe savoureuse,
Un trésor
Cent fois plus précieux que l'or.
Sans cesse au pié de l'arbre une tourbe nouvelle
S'agglomérait ; mais, rude sentinelle,
Le Dragon de son seul aspect
La tenait tremblante en respect.
Bel et vaillant, un jeune prince,
Par l’attrait du danger séduit,
Bien plus que par l'appât du fruit
Accourut à son tour de lointaine province.
En vain le Dragon sur le preux
Darde mille langues de feux.
Le paladin s’élance au faite
Et le fruit devient sa conquête.
La noix mystérieuse à peine est en sa main,
Le preux l'entrouvre et soudain
Des riches trésors de Golconde
S’épanche une mine féconde.
Le sol bientôt n’offre plus qu'un tapis
De diamants, de saphirs, de rubis
Que tout aussitôt chacun pille.
Que resta-t-il au preux l'honneur.... et la coquille.
Certains diront : ce n’est beaucoup ,
Mais pour notre preux ¢’était tout.
Cet arbre n’est-il pas l'arbre de la science ?
Si quelque esprit au faite et s’élance et parvient,
C'est pour cueillir le fruit de sapience
Et répandre aussitôt avec insouciance
Les trésors que le fruit contient.
La foule est aux aguets à piller toute prête,
S'adjugeant tous profits sans nul autre labeur.
Comme reliefs de conquête
Il reste au conquérant la coquille âne et l'honneur.
Alger, 13 Mars i854.