Borée, un jour, l'impétueux Borée
Entreprit de déraciner
Le Chêne le plus beau de toute une contrée,
Et que la faux du temps semblait même épargner.
Chômait-on le saint du village,
Fillettes et garçons accouraient d'alentour
Pour folâtrer, danser à son ombrage,
Et peut-être y parler d'amour.
Qu'un voyageur fût surpris par l'orage,
Le Chêne lui prêtait l'abri de son feuillage.
Notez aussi que nombre d'animaux
Se nourrissaient du fruit tombé de ses rameaux.
L'heure est pourtant venue où ce superbe Chêne
Va subir le plus triste sort.
Soudain le fier tyran du nord,
Borée, avec fureur contre lui se déchaîne.
L'arbre de Jupiter soutient le choc d'abord ;
Mais, privé de l'appui de ce dieu tutélaire,
Il rompt, chancelle, et tombe, après de longs assauts,
Allant cacher sa tête séculaire
Au sein des humbles arbrisseaux. -
Maître de l'Olympe, ô mon père !
Dit-il alors, tu vois quel désastre est le mien.
Puisque tu l'as permis, c'est à moi de me taire ;
Mais si j'ai toujours fait le bien,
Qui m'empêche encor de le faire ?
De ce tronc large et vigoureux
Regarde le peu qui me reste :
Je suis content s'il plaît à ta bonté céleste
D'en faire un instrument utile aux malheureux.
-Oui, répond Jupiter, je te serai propice.
Ce fut sans doute avec justice
Qu'au souverain des dieux ton bois fut consacré.
Je te fais Terme : ainsi tu serviras d'indice
Au voyageur dans sa route égarée ;
Et cependant ne trouve pas étrange
Que l'on t'insulte encor malgré ton humble emploi.
Le plus vil animal, en s'approchant de toi,
Pourra te souiller de la fange
Qu'il traîne toujours après soi.
-Peu m'importe, reprit le Chêne ;
Il faut à la vertu l'épreuve des revers,
Et le bien qu'elle fait la console sans peine
Du mal que lui font les pervers.