Le mot de bienfaisance en tous lieux retentit ;
Il n'est feuille si mince, il n'est si frêle ouvrage,
Où ce mot, enchâssé dans un pompeux récit,
N'enorgueillisse chaque page :
Mais qu'en penser, hélas ! et doit-on à ces traits
Reconnaître la bienfaisance,
Elle que le jour blesse, et qui n'aima jamais
Le bruit ni la magnificence ?
Lui donner tant d'éclat, c'est ternir ses attraits ;
Et je crains bien, s'il faut parler avec franchise,
Que sous un nom si beau l'orgueil ne se déguise.
Un Renard possédait un ample magasin
Où s'entassaient des flots de grain ;
Et le tartuse adroit, dans tout le voisinage,
Jouissait du renom d'un dévot personnage :
Il n'aimait, disait-on, qu'à servir son prochain.
Or, pour visiter sa demeure,
Vous eussiez vu cent pauvres animaux
À la file accourir des plus lointains hameaux,
Et du sire obtenir sur l'heure
Un allégement à leurs maux.
Arrive une Brebis, bête très ménagère,
Qui, tout l'hiver, ayant manqué de pain,
N'avait su jusque-là que souffrir et se taire.
Au Renard, seul alors (car il est grand matin),
Elle vient humblement exposer sa misère,
Et lui demande quelque grain ;
Mais cette fois le saint, ou plutôt l'hypocrite,
Refuse à la pauvrette (elle mourait de faim)
La charité la plus petite.
Elle a beau représenter,
Gémir et se lamenter ;
Néant. l'homme de bien, qui prétend qu'on le prône,
Veut des témoins de son aumône.
Parmi cent bienfaiteurs, cités de toutes parts,
Oh ! combien il est de Renards !