Le jeune Indien et le Tigre Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Un bramine était mort, et sa vie exemplaire,
Durant près d'un siècle, dit-on,
Avait édifié tous les gens du canton.
Le digne fils d'un si vertueux père,
Sous des cyprès religieux,
Non loin de sa cabane, en un coin solitaire,
Venait d'ensevelir ses restes précieux.
Prosterné sur la tombe et les larmes aux yeux,
Il invoque longtemps la puissance céleste.
L'heure enfin l'avertit qu'il doit quitter ces lieux ;
S'il les quitte à regret, du moins son cœur y reste.
Comme il s'éloignait lentement,
En jetant malgré lui ses regards en arrière,
Dieux ! quel spectacle ! il voit un Tigre sanguinaire
Qui vient fouiller autour du pieux monument.
Déjà l'animal se dispose
À violer l'asile où le brame repose,
Pour faire un horrible festin.
Le fils accourt. - O ciel ! que veux-tu faire ?
Lui dit-il, profaner le tombeau de mon père ?…..
De grâce, arrête... Hélas ! je te supplie en vain...
Il te faut une proie... Eh bien ! monstre sauvage,
Viens sur mes membres déchirés
Assouvir ton affreuse rage ;
Mais respecte du moins ces ossements sacrés.
Ce dévouement d'un fils était des plus sublimes ;
Un lion, en ce cas, eût été généreux :
Un Tigre suit d'autres maximes ;
Ainsi point de quartier ! l'animal furieux
Fond sur l'Indien, le dévore,
Et, de carnage avide encore,
Au lieu d'un crime en commet deux.

Lorsqu'un lâche des morts ose insulter la cendre,
Quel respect les vivants pourraient-ils en attendre ?

Livre II, fable 11




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