À Bénarès vivaient deux frères,
Deux Indous, occupés du soin de leur salut,
Et qui par des chemins contraires
Prétendaient, l'un et l'autre, arriver à leur but.
L'un, c'est l'aîné, se fit ermite.
Dans le fond d'un désert il s'enferme un matin ;
Du creux d'un rocher fait son gîte ;
N'a pour plaisir et pour festin
Que des herbes et de l'eau claire.
Au mendiant jamais sa main
Ne jette une aumône légère ;
Et mon dévot, de peur de troubler sa prière,
Fermait sa porte au pèlerin.
Le cadet prit une autre voie.
Apôtre des plaisirs, des fêtes, des amours,
Dans la bonne chère et la joie
Il épuise sa bourse et dissipe ses jours.
Il s'amuse, il festine, il mange ;
Et cependant, matin et soir,
Il va se plonger dans le Gange.
L'Ermite, un jour s'en vint le voir.
— Un songe m'a troublé, dit-il. La nuit dernière,
J'ai vu Brama, les yeux enflammés de courroux,
Me regarder avec colère.
J'ai voulu de ce fait m'éclaircir avec vous.
L'autre dit : J'ai fait même rêve.
Cette nuit, comme à vous, Brama m'est apparu.
Les regards menaçants, le bras armé d'un glaive,
Et j'allais vous trouver, quand vous êtes venu.
— Allons le consulter. Dans la Pagode sainte
Ils arrivent ; et mes Indous,
Le front baissé, saisis de crainte,
Au Dieu s'adressent à genoux.
Vous m'avez offensé, leur dit le dieu des Brames,
L'un en rebutant le prochain,
L'autre en scandalisant les âmes.
Écoutez mon ordre divin :
Pour vous punir tous deux, au corps de quelque bête
Je puis vous envoyer loger ;
Mais ma justice est satisfaite
Si vous savez vous corriger.
Vous, Monsieur le dévot, allez parmi vos frères
Vous égayer parfois ; aidez les malheureux
Et diminuez leurs misères :
Prier est bon, donner est mieux.
Vous, Monsieur le mondain, prenez l'habit d'ermite ;
Allez dans le désert habiter quelquefois ;
Et là, paisible cénobite,
La méditation, le silence et les bois,
Loin d'un monde bruyant, vous rendront raisonnable.
Jouissez du plaisir, mais évitez l'abus ;
Et sachez que dans tout, même dans les vertus,
L'excès est toujours condamnable.