Les Bergers et le Tigre Pierre Duputel (1775 - 1851)

Certains bergers, dans un piège ayant pris
Un tigre, la terreur de tout le voisinage,
Qui maintes fois, de leurs troupeaux détruits,
Avait dans les forêts, théâtre de sa rage,
Dispersé les sanglants débris ;
Au lieu d'en faire éclatante justice,
En se vengeant sur lui de ses nombreux forfaits,
Crurent devoir, pour tout supplice,
Le mettre hors d'état de nuire désormais.
Ils lui firent en conséquence,
Limer un peu les grifses et les dents,
Et le jugeant, par-là, réduit à l'impuissance
De satisfaire encor ses funestes penchants,
Lui rendirent, en assurance,
Comme l'on dit, la clef des champs.
Mais quelle était leur imprudence !
Ce monstre, au fond des bois retiré quelque temps,
De sa fureur, dans le silence,
A loisir aiguisa les cruels instruments ;
Et les sentant bientôt mieux acérées,
Des grifses et des dents s'exerça de nouveau
Dans ces malheureuses contrées
Dont il redevint le fléau :
Avec la seule différence
Qu'il ne s'attaquait plus seulement au troupeau,
Mais que, guidé par la vengeance,
Pour leur faire expier ses tourments passagers,
Il dévorait aussi les imprudents bergers,
Qui virent, un peu tard, que souvent l'indulgence
Expose à de plus grands dangers.

N'en avons-nous pas fait aussi l'expérience ?
Pour nous être montrés envers eux indulgents,
Que de tigres chez nous !… Mais chut ! il faut se taire :
Sur ce chapitre, à bien des gens
Les longs détails pourraient déplaire.

Fable 9




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