Le Renard prédicateur Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Il était un lion, ami de la morale,
Qui, pour arrêter les progrès
De la licence générale,
Jugea qu'il était temps de prêcher ses sujets.
A qui confiera-t-il ce grave ministère ?
Son conseil là-dessus opine, délibère.
D'abord on songe à l'ours : c'est un grand orateur,
Dit-on ; mais dans le caractère
On lui trouve un peu de hauteur ;
Puis sa doctrine est trop austère ;
Et puis on se souvient qu'un jour
Il osa proposer la réforme à la cour.
On passe au singe : il a bien de quoi plaire,
Son esprit est malin ; mais, pour faire un sermon,
Force est de convenir qu'il est un peu bouffon.
Rhinocéros, éléphant, dromadaire,
Sont cités à leur tour : mais c'est ceci, cela.
Qui donc choisir enfin ? Il faut en venir là.
Certain Renard, fertile en fleurs de rhétorique,
Et qui naguère du feu roi
Avait fait le panégyrique,
Est chargé de remplir cet épineux emploi.
Vous eussiez vu mon drôle endosser la soutane,
Prendre le bonnet doctoral,
Et sommer la troupe profane
De comparaître au tribunal.
Le cas était urgent ; Renard manquait de chaire :
Le tronc d'un vieux pin fit l'affaire.
Je doute que nos gens, pour accourir au bal,
Eussent mis plus de diligence.
Étant donc assemblés, et tous faisant silence,
Le Renard, avant son début,
Honore d'un triple salut
Cette vénérable assistance,
Roule ensuite des yeux dévots
Qui vont de tous côtés mendiant les suffrages ;
Car il connaissait les usages.
Cela fait, il entre en propos.
Dès son exorde il prend l'essor d'Icare,
Prêche sur le ton de Pindare,
Recherche avec soin ces grands mots
Dépourvus de bon sens, mais bruyants, mais sonores,
Et qui plaisent toujours à l'oreille des sots.
Hyperboles sur métaphores,
Apostrophe, exclamation,
Rien ne manque dans son sermon ;
Rien, hors un point, mais point si nécessaire,
Que de lui seul dépend tout l'art de plaire :
J'entends la persuasion.
Aussi le Renard eut beau faire,
Son discours trop guindé ne put être senti ;
Chacun des auditeurs regagna son repaire
Sans avoir été converti.

Parlez toujours ainsi que parle la nature,
Ovous, chargés du soin de réformer nos mœurs.
Pour captiver l'oreille et subjuguer les cœurs,
Il n'est point de route plus sûre.

Livre VI, fable 15


Dédié à M. Auger, de l'académie française

Juge éclairé des bons écrits,
Qui devins pour moi-même un sévère Aristarque,
Prête encore l'oreille à mes simples récits.
Tu verras, à plus d'une marque,
Combien j'ai profité de tes sages avis.


Commentaires