Le Renard prédicateur Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un jour, le renard s'avisa
De faire aux humains la morale.
En docteur il se déguisa,
Et dans la chaire pastorale
Il monta bien fourré d'hermine et de sermons.
Il va prêcher contre l'ivresse,
Et réunit de la sagesse
Les textes les plus forts, les plus beaux, les plus longs.
- Or, dit-il, contemplez cet homme, ce monarque,
Qui tient dans son compas le disque du soleil :
Aux dieux il est presque pareil,
Il désarme la foudre, il affronte la parque…
Le poison du raisin dans son verre a coulé,
Sa raison tournoie et chancelle ;
Regardez maintenant cette brute immortelle
Dans l'ivresse et la fange où le voilà roulé.
Nobles cœurs, votre orgueil se soulève et s'indigne.
Eh bien ! je ne vous dirai pas,
Détruisez, arrachez la vigne,
Mais bannissez le vin de vos sobres repas,
N'écrasez plus ce grain dont le jus vous enivre.
Quoi ! sans vin ne saurait-on vivre ?
Tel que vous me voyez, jamais je n'en ai bu :
Laissez la grappe sur la branche ;
N'étayez plus le cep qui s'égare et se penche,
Et croyez que son fruit ne sera point perdu.
- J'en suis convaincu, répond maître Grégoire,
Surtout si je t'ai pour voisin.
Je serais très porté, mon compère, à te croire,
Si tu n'aimais pas le raisin.

Pour qu'un sermon soit salutaire
Il faut que le prêcheur soit honnête et sincère.
Disciples d'un maître indigent,
Prêchez la pauvreté, mais n'aimez pas l'argent.

Livre II, fable 12


Symbole 12 :

La figure symbolique du renard prédicateur est sculptée dans plusieurs de nos églises gothiques. Nos pères lisaient avec plaisir le roman du renard et n’en écoutaient pas avec moins de dévotion les prédications de leurs prêtres. Saint Louis s’opposait franchement et sans crainte d’offenser Dieu aux prétentions temporelles des papes. Il savait distinguer le saint-siège de la cour de Rome. Nous l’avons déjà dit, les prêtres sont des hommes et non des anges ; ils ont des devoirs spirituels à remplir et des besoins temporels à satisfaire. Ce sont deux ordres de choses qu’il ne faut pas confondre, et tout le mal de l’Eglise vient de ce qu’on a laissé faire trop souvent cette confusion. Sur la terre l’Eglise est à la fois divine et humaine, c’est-à-dire composée d’âmes et de corps. Il ne faut pas subordonner l’âme au corps, mais il ne faut pas refuser au corps ce qui lui est nécessaire. Le mauvais prêtre exploite l’esprit au profit de la chair, et le bon prêtre soutient la chair au profit de l’esprit ; là est toute la différence.


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