Le Renard Prédicateur Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

La morale sans doute est l’âme de la fable ;
C’est une fleur qui doit donner son fruit :
Vous voulez seulement lire un conte agréable ;
Sans le vouloir, vous allez être instruit.
On badine ; il paraît qu’on ne songe qu’à plaire
Et le jeu se tourne en leçon.

L’homme n’eût point voulu d’un précepte sévère ;
Pour le prendre, il fallait trouver cet hameçon.
Ainsi ce phrygien que l’univers renomme,
Fut précepteur du genre humain.
Qu’un lecteur est bien sous sa main !
Il l’amuse en enfant ; mais pour en faire un homme.
Cultivons ce bel art. Qu’à l’envi du premier
S’élèvent de nouveaux Ésope,
Censeurs réjouissants, et qui loin de crier
Comme de chagrins misanthropes,
En nous réprimandant se font remercier.
Mais, faisons-nous des règles sûres,
Que le conte soit fait pour la moralité ;
Prenons si juste nos mesures,
Que nous allions tout droit à notre vérité :
Que le trait soit vif, et qu’il frappe.
N’allez pas vous répandre en de trop longs propos ;
Plus le sens est précis, et moins il nous échappe.
Gagnez-vous la mémoire en ménageant les mots.

D’elle-même parfois la fable est évidente ;
Le sens en saute aux yeux, et l’art
Défend alors qu’on le commente.
J’observe ici cette règle prudente.
Qui n’entendra pas mon renard ?
Un renard grand docteur, mais déjà chargé d’âge,
Ne pouvant plus comme autrefois,
Assiéger les oiseaux, ni chercher loin ses droits,
De la ruse essaya l’usage.
Il se mit à prêcher, dit-on,
Contre la guerre injuste et l’appétit glouton.
Outre une morale si belle,
Il avait forte voix, geste libre et bon ton,
L’air humble et grand dehors de zèle :
Père renard se fit bientôt un nom ;
On dit que le lion eut désir de l’entendre ;
Père renard refusa cet honneur.
Il avait ses raisons, et qu’il sut faire prendre
Pour crainte de s’enfler le cœur.
Outardes, poules, et mainte oye
S’en venaient en foule au sermon ;
On n’appréhendait point de devenir sa proie ;
Son texte rassurait tout l’auditoire oison.
Malheur, s’écriait-il, à l’animal vorace !
Quoi, sans tuer ne peut-on se nourrir ?
Nous avons tant de biens que le ciel de sa grâce,
Dans les campagnes fait fleurir,
Et sur les rameaux fait mourir :
Vivons d’herbe et de fruits ; que faut-il autre chose ?
Tout ce qui vit, messieurs, doit être respecté.
Nous en dirons plus d’une cause :
Injustice primo ; secundo cruauté ;
Mais cruauté qui nous expose
À manger nos parents ; oui, nos parents, messieurs :
Car apprenez que par métempsycose,
(écoutez bien chers auditeurs)
Après que dans un corps l’âme a fait quelque pause,
Elle passe en un autre, et là ne se repose
Que pour passer encor ailleurs.
Vous voyez bien que le loup sanguinaire
En mangeant un mouton, peut bien manger son père :
Que moi renard, si j’allais escroquer
Quelque poule ou bien quelque outarde,
Je m’exposerais à croquer
Ma pauvre mère la renarde.
Plutôt mourir cent fois ! Ah ! Que le ciel m’en garde.

C’est ainsi que s’estomaquait
Le Pythagore à longue queue :
Ses exclamations s’entendaient d’une lieue,
Et son zèle le suffoquait.
Le sermon achevé, tout l’auditoire en joie
En le louant se retirait :
Mais pour le consulter, quelque poule ou quelque oye
Avec le cafard demeurait.
Pour sa collation il vous croquait la proie ;
Bienheureuse qui s’en tirait !

Livre V, fable 3






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