L’homme, sans doute, envers l’homme son frère
Est tenu de sincérité :
Mais il faut souvent, pour bien faire,
Assaisonner la vérité.
Si le vrai prend dans notre bouche
Le ton impérieux, l’air hautain de leçon ;
L’amour propre s’en effarouche,
Il faut l’apprivoiser par un peu de façon.
Il faut par un humble artifice,
L’aider lui-même à se persuader.
Si vous voulez faire aimer la justice,
Inspirez là plutôt que de la commander.
Les rois sur tout veulent qu’on les ménage ;
On doit les manier avec dextérité.
Sans cet art, l’avis le plus sage
Leur paraît une atteinte à leur autorité.
Fade flatteur, pédant sévère
Le meilleur des deux ne vaut rien.
Qui sait corriger sans déplaire
Est au but ; qu’il s’y tienne bien.
Ces égards nous sont dus à tous tant que nous sommes ;
Car tout amour propre a ses droits.
Il faut ménager tous les hommes :
En fait d’orgueil tous les hommes sont rois.
Un renard poursuivi, faute d’un autre asile,
S’était sauvé dans l’antre d’un lion,
Le chasseur l’y laissa sans plus d’ambition ;
Violer la franchise eût été difficile.
Mais le renard épouvanté
Ne compta guère alors sur l’hospitalité.
Ça, dit le monarque farouche,
Sois le bien arrivé ; tu seras pour ma bouche.
À quelle sauce es-tu meilleur ? Dis-moi.
Je n’en sais rien, dit le renard au roi ;
Mais, sire, ce discours et ce regard sévère
Me rappellent mon pauvre père.
J’en pleure encor quand je pense à sa fin.
Un lapin fugitif lui demandait asile ;
Mais mon père trouva la prière incivile ;
Et poussé par le diable, il mangea le lapin.
Le lapin en mourant, réclama la colère
De Jupiter hospitalier ;
Et sur le champ mon pauvre père
Fut enfumé dans son terrier.
Le lion s’en émût : et soit crainte, soit honte,
Soit pitié du renard, sa faim se ralentit.
Va t’en, dit-il, avec ton conte,
Tu m’as fait passer l’appétit.