La Baleine et l'Américain Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Sa majesté dame baleine
Sous son ample épaisseur faisant trembler les mers,
Croisait la côte américaine ;
Elle occupe un arpent de la liquide plaine,
Et ses cris mugissants épouvantent les airs.
Quelle est ma grandeur, disait-elle !
Les habitants des mers me sont assujettis :
Soit crainte, soit amour, mon peuple m’est fidèle ;
Je le mange à mon choix, sans trouver un rebelle ;
Je vais de pair avec Thétis.
Contentez-vous, messieurs les hommes
D’oser porter la guerre aux autres animaux.
Si vous êtes leurs rois, apprenez que nous sommes
Vos souverains, vous nos vassaux.
Dame baleine ainsi, de bravade en bravade,
Continuait sa promenade.
Un céladon américain
Sur le rivage alors poursuivait son Astrée ;
Il voulait l’attendrir ; hélas ! C’était en vain ;
La belle pour tout prix de s’en voir adorée,
Ne lui rendait que froideur, que dédain.
Quoi ! Dit-il ; toujours insensible !
À quel prix donc vous mettez-vous ?
Parlez ; je ferai l’impossible.

Soit, lui dit-elle ; engageons-nous ;
Mais à condition, pour vous prendre à la lettre,
Qu’à mes pieds vous allez remettre
Ce monstre qui nous brave tous.

L’amant rêve, médite avant que de promettre ;
Puis trouvant ce qu’il a cherché,
À la clause, dit-il, il faut bien se soumettre ;
Allons, c’est vous avair encor à grand marché.

Il se munit de sa massue,
De deux tampons de bois ; et voilà l’homme à l’eau.
Conduit par son espoir nouveau,
Des ses deux bras nerveux il fend la mer émue,
Aborde la baleine, et sans civilité
Grimpe au dos de sa majesté.
De ses mugissements elle fait trembler l’onde,
Non pas l’amant : en vain de ses naseaux,
Comme rapides traits elle lance les eaux ;
Il prend son temps le mieux du monde :
De sa massue il enfonce un tampon
Dans un naseau, puis l’autre ; il vous la coule à fond :
Elle étouffe, et sur le rivage

Notre nouveau Bellérophon
Revient triomphant à la nage.
Les flots secondant son ardeur,
Poussent le monstre mort sur les pas du vainqueur.
C’est ainsi que périt la première baleine ;
Sa rodomontade fut vaine.
Le plus fort a son faible. Encor un autre point.
Les passions font tout en tous tant que nous sommes ;
Réglons-les seulement ; ne les étouffons point ;
Elles ont tout appris aux hommes.

Livre V, fable 9






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