Il est bon d’user de clémence :
C’est le plus beau fleuron de la toute-puissance.
Dieux de la terre, aimez à pardonner,
Et ne foudroyez pas, s’il suffit de tonner.
Mais que votre bonté jamais ne se permette
D’ôter à la malice un salutaire effroi ;
Rarement convient-il que le prince se mette
Entre le coupable et la loi.
Souvent la clémence indiscrète
Est le malheur du peuple, et la honte du roi.
C’est par pitié qu’il faut être sévère.
Qui punit bien, a bien moins à punir.
Pour le présent, humeur trop débonnaire
Est cruauté pour l’avenir.
Muscan, roi d’un peuple d’abeilles,
Surnommé grand pour ses merveilles,
Fit dans tout son état publier un édit :
Maint motif élégamment dit
Préparait la défense expresse
Qu’il faisait à toute l’espèce
De toucher désormais aux fleurs de mauvais goût,

Attendu que le miel n’en valait rien du tout :
Enjoint à ses portiers de refuser la porte
À tout contrevenant que l’odeur trahirait.
La défense est de droit étroit ;
Point de grâce en aucune sorte.
Fait en notre louvre emmiellé,
Tel an, tel jour depuis notre séance au trône,
Et du grand sceau de cire jaune
Le tout scellé, contre-scellé.
Le peuple ainsi lié par la loi souveraine,
Choisissait bien ses mets ; ne touchait qu’au jasmin,
À l’œillet, à la marjolaine ;
Dînait le plus souvent de roses et de thyn.
Vous les eussiez vus tous savourer les fleuretés
Dont les jardins sont parfumés ;
Puis dans leurs utiles retraites
Ils revenaient tout embaumés.
Un jour pourtant une abeille imprudente,
Favorite du prince et presque en droit d’errer,
Ayant fait son repas d’une mauvaise plante,
Se présente à la ruche, et l’on vient la flairer.
Vous ne sentez pas bon. Qu’importe que je sente ?
L’ordre n’est pas pour moi, dit la contrevenante.
Les portiers là-dessus la laissèrent rentrer :
Mais le prince en faisant sa ronde,
Sentit l’odeur coupable ; il appelle son monde,
Sur son trône de cire il s’assied gravement ;
Il interroge, il pèse ; et puis l’affaire instruite ;

Muscan condamne également
Les portiers et la favorite.
Ah ! Sire, s’écria le peuple d’une voix,
Pardonnez-leur du moins pour la première fois.
Non, je n’accorde point votre aveugle demande,
Leur dit Muscan ; sachez qu’un roi
Doit être esclave de sa loi,
Et qu’il doit obéir à tout ce qu’il commande.
Ma rigueur est clémence, et de l’impunité
Prévient les suites redoutables.
Combien aurais-je un jour à punir de coupables
Que je sauve aujourd’hui par ma sévérité !

Livre V, fable 10






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