Le Singe prétendant à la royauté Charles François Antoine Viancin (1788 - 1874)

Singe Bertrand se mit un jour en tête
Qu’il était successeur du défunt roi Lion,
A régner à son tour le voilà qui s’apprête
Et fait aux animaux sa proclamation.
» — Peuple, saluez votre maître,
» S’écriait-il pompeusement ;
» C’est moi, c’est moi seul qui dois l’être,
» Et pour nous en convaincre, il suffit d’un moment.
» Légitime héritier de ce puissant monarque
» Dont on vénère encor les os
» Depuis qu’il est couché dans l’éternel repos,
» Je porte de mes droits plus d’une illustre marque :
» Contemplez mon visage empreint de majesté,
» L’éclair qui luit sous ma paupière,
» Mon attitude noble et fière
» Et la souveraine beauté
» De ma queue et de ma crinière.
» Je suis Lion, je suis votre roi, c’est certain ;
» Mais je tiens à régner surtout par vos suffrages,
» Et j’attends de leurs témoignages
» Que votre libre choix confirme mon destin.

»Du soi-disant monarque et de son éloquence
Les quadrupèdes étonnés,
S’entre-regardaient en silence,
Lorsqu’un renard, levant le nez,
Prit en ces termes la parole :
« — Quelle risible faribole
» Vient nous conter ce maître fou?
» Je voudrais bien savoir par où
» Il ressemble au lion : voyez un peu sa face
» Qui fait du haut en bas grimace sur grimace ;
» Ses poils courts et crépus qu’il prend pour de longs crins,
» Ce tic dont le retour l’obsède, le tracasse
» Et le porte sans cesse à se gratter les reins.
» Quel prince! a-t-on jamais rien vu de plus cocasse?
» Sa queue?… où donc est-elle? Il n’en a point, ma foi :
» Ah ! le plaisant lion et le drôle de roi !

» — Bravo, bravo ! » cria tout l’auditoire,
En riant aux éclats. — Ainsi finit la gloire
Du prétendant, confus d’un tel mépris,
Comme un renard qu’une poule aurait pris.
Ailleurs, un autre singe a pu voir d’autres têtes,
Dupes de ses discours, s’incliner sohs ses lois.
Autant les animaux montrent d’esprit par fois,
Autant certains hommes sont bêtes.





Commentaires