La cigale ayant chanté
Jour et nuit durant l'été,
Trouva la saison fort dure
Quand le vent du nord souffla,
Et manquant de nourriture,
Très humblement elle alla
Se plaindre de la famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
De quoi pouvair subsister,
Jusqu'aux jours où l'abondance
Viendrait lui rendre l'aisance.
La fourmi dans son manoir
Se plut à la recevoir
De façon la plus gentille,
Et lui dit : « Ma pauvre fille,
J'entends me piquer d'honneur :
J'ai su que dans ma famille.
Certain jour, un mauvais cœur
Traita fort mal votre sœur.
Ma parente fut cruelle ;
— Vous n'avez, lui disait-elle,
Employé qu'à des chansons
Le temps chaud de nos moissons ;
Vous chantiez, mademoiselle,
Nuit et jour à tout venant ;
En hiver la faim vous presse ;
Vous voilà dans la détresse ;
Eh bien ! dansez maintenant.
— N'ayez peur que je saisisse
Un pareil trait de malice,
Vous qu'un si pénible émoi
Vient de faire entrer chez moi ;
Je me sens bien plus heureuse
D'être envers vous généreuse ;
Ainsi n'allez pas plus loin ;
Bien pourvue est ma demeure ;
Je vais vous donner sur l'heure
Ce dont vous avez besoin,
Et cela sans exigence
De retour ni de profit ;
Un peu de reconnaissance
De votre part me suffit.
Ce langage vous étonne ;
De moi vous semblez douter ;
Ah ! c'est qu'à présent l'on donne
Largement, sans rien prêter.
Ce fait aisément s'explique :
Nous vivons en République,
Régime tout fraternel
Que l'on sait enfin comprendre,
Et dont l'esprit doit s'étendre
Sur la terre, au gré du ciel.
Honte, honte à la railleuse
De votre ancienne emprunteuse !
Elle est vilaine à mes yeux,
Et je trouve beaucoup mieux
D'apaiser votre indigence
Avec libéralité
Que d'envoyer à la danse
Un sujet fort contristé,
Pour qu'il fasse pénitence
D'avoir un peu trop chanté. »
La cigale consolée
Ne le fut pas à demi
Et s'en retourna comblée
Des présents de la fourmi.
Ô mon maître, La Fontaine,
Pardon si dans ton domaine
Je puise un peu hardiment
Un nouvel enseignement.
On retient, on apprécie
Ta leçon d'économie ;
Mais d'un œil plus satisfait
On considère un bienfait.