La Perruque et les Singes Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Chez un notable procureur,
Où régnait l'étiquette,
Un singe était en grand honneur ;
Il faisait poliment révérence et courbette.

Il avait remarqué que jamais, le matin,
Aucun, devant le maître,
Ne songeait à faire paraître
Cet air soumis et ces respects sans fin
Que l'on montrait au moderne Dandin ;
Que, vers midi, quand la perruque,
Bien poudrée et mise avec soin,
Inondait épaules et nuque,
Chaque arrivant, de loin,
Se courbant jusqu'à terre,
Jurait au procureur, avec un ton mielleux,
Qu'il était son valet, humble et respectueux.

Le singe croit avoir deviné le mystère:
« C'est à la perruque, dit-il,
Que tout le monde adresse
Ce langage doux et subtil,
Ces compliments pleins de finesse.
Je ne suis qu'un farceur ici,
Mais au bois, avec mon semblable,
Une coifse si vénérable
Me ferait procureur aussi. »

Un singe est prompt ; chez lui, point de mais, point de si...
Le lendemain, avant l'aurore,
Au fond de la perruque, il entre jusqu'au nez,
Devant la glace encore,
Avec des regards étonnés,
Complaisamment il s'ajuste et s'admire,
S'adresse un dernier sourire, '
Et par la cheminée arrive, en quatre sauts,
Jusque sur les toits les plus hauts.
De là, vers la forêt voisine
En deux jours il chemine.
Aux portes de la ville, il dérobe un tambour,
Et fait en arrivant grand fracas, puis harangue.

Un peuple de frères accourt,
Chacun rit, et montre la langue.
Etonné de ce peu d'égards,
Et soupçonnant quelque méprise,
Le singe croit que, par hasard,
Sa coiffure est mal mise,
La tourne, et voilà nouveaux cris ;
Il la retourne, et c'est bien pis.
Il la met sur l'oreille,
Ce sont des brouhahas qui remplacent les ris !
Là, son courroux s'éveille :
« Sots, dit-il, est-ce ainsi qu'on fête un procureur ?
Qu'à ma perruque on fait honneur ?
Ne savez-vous pas, imbéciles,
Les hommages et le respect
Que l'on présente, dans les villes,
Aux perruques d'un noble aspect ?
Pliez-vous, faites vos courbettes,
Ma coifse a dispensé bien des honnêtes gens
Soi-disant, de payer leurs dettes. »

Un vieux singe se lève et dit: « Tu te méprends ;
Enfants de la nature, autant qu'ici nous sommes,
Nous avons conservé l'honneur et le bon sens ;
Mais je vois ton erreur : tu nous prends pour des hommes. »

Livre II, fable 6




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